Depuis 2020, le fact‑checking s’est progressivement imposé sur les réseaux sociaux, entraînant la suppression arbitraire de nombreux contenus, notamment ceux de BAM. L’Union européenne et son commissaire Thierry Breton pensaient définitivement clore le débat à coups de réglementations (DSA) et de menaces. Pourtant, le rachat de Twitter par Elon Musk puis l’élection de Donald Trump viennent sérieusement ébranler les ambitions de la Commission, cheville ouvrière d’un système désormais contraint de lutter pour sa survie.
Proposé fin 2020 par la Commission européenne, le DSA, ou règlement sur les services numériques, est adopté le 19 octobre 2022 par le Parlement européen. Celui‑ci impose, entre autres, aux grandes plateformes (comme Facebook, Twitter, ou YouTube) des obligations pour “limiter la propagation des fausses informations”. Concrètement, ce règlement ne fait qu 'entériner une pratique déjà largement répandue depuis la crise COVID et particulièrement depuis le début de la campagne de vaccination: la censure des contenus qui “ne correspondent pas aux standards de la communauté”...
Premier domino: la rachat de Twitter
Le hasard faisant bien les choses, Elon Musk finalise le rachat de Twitter le 27 octobre 2022, soit exactement huit jours après l’adoption du DSA par l’UE… Ces deux évènements concomitants seront les prémices d’une guerre sans merci entre les tenants de la dérégulation et de la liberté d’expression représentée par Elon Musk et de l’autre l’UE et les médias traditionnels fervents défenseurs de la censure (rebaptisée pudiquement “lutte contre la désinformation”).
Ce rachat sera l’occasion pour Elon Musk de dévoiler, à travers les Twitter Files, une série de documents internes révélant les coulisses de la modération sur la plateforme. Ces fichiers montrent notamment des échanges avec des agences gouvernementales, comme le FBI, et des pressions politiques exercées par l’administration Biden pour censurer certains contenus.
Elon Musk va alors renvoyer en live son équipe de modération, avec en tête Vijaya Gadde, la directrice juridique de Twitter, connue pour son rôle dans les décisions de modération controversées, notamment la suspension du compte de Donald Trump.
La nouvelle politique de modération instaurée par Musk vise à réduire considérablement les limitations imposées aux utilisateurs. Il prône une approche minimaliste où seuls les contenus illégaux ou dangereux (comme les appels à la violence) seront supprimés. Musk affirme vouloir faire de Twitter une place publique numérique favorisant la liberté d’expression, quitte à tolérer des discours controversés.
Cette réorientation radicale suscite d’importantes critiques, notamment de la part de l’Union européenne, qui rappelle les obligations imposées par le DSA. Des annonceurs majeurs suspendent temporairement leurs campagnes publicitaires sur la plateforme, préoccupés par la prolifération possible de contenus qualifiés de problématiques. Malgré cela, Musk maintient que Twitter, sous sa direction, restera un espace de débat libre et ouvert, en opposition aux plateformes qu’il juge asservies à la censure institutionnelle.
L’interview d’Elon Musk par la BBC le 12 avril 2023 illustre clairement l’opposition entre ces deux visions, tout en mettant en lumière les ambiguïtés maintenues par les partisans de la censure, qui confondent sciemment la lutte contre les discours haineux et le fact‑checking.
Breton: l'éléphant dans un magazin de porcelaine
Grand défenseur du DSA, Thierry Breton, le commissaire au Marché intérieur en charge du numérique, multiplie alors les déclarations à l’emporte‑pièce, sur un terrain pourtant très glissant: si le DSA est en réalité un outil de contrôle antidémocratique, sa formulation ambiguë et l’incorporation du fact‑checking dans un corpus plus vaste de règles aux allures bienveillantes avait jusque là permis de ne pas trop éveiller les soupçons avant son passage au Parlement. Mais la subtilité n’est pas la qualité première du commissaire français
Le point d’orgue est atteint en août 2024, lorsque Breton adresse une lettre ouverte à Elon Musk, avant une interview de Donald Trump sur la plateforme X. Il y rappelle les obligations légales imposées par le DSA en évoquant le risque de sanctions en cas de manquement.
Musk, fidèle à son style provocateur, réplique aussitôt par un tweet ironique, dénonçant ce qu'il considère comme une entorse à la liberté d'expression et un abus de pouvoir bureaucratique.
En révélant le vrai visage du DSA et en montrant son absurdité, Breton devient, à son corps défendant, l’allié objectif des opposants à la censure. La Commission a fini par le comprendre et n’a pas tardé à prendre ses distances avec son embarrassant commissaire. La Commission a précisé que ni le timing ni la formulation de la lettre de Thierry Breton n’avaient été coordonnés ou approuvés par la présidente Ursula von der Leyen ou le collège des commissaires… Il n’aura pas non plus échappé à von der Leyen qu’il n’était pas particulièrement judicieux d'importuner celui qui risquait de devenir un jour son nouveau patron…
Jugé trop impulsif et clivant, Breton tombe alors en disgrâce. Fin 2024, il ne sera pas reconduit à son poste lors du renouvellement des commissaires.
Deuxième domino: Meta
En renonçant à la censure et en résistant aux pressions de l’UE, Elon Musk a ouvert une brèche qui va progressivement lézarder l’édifice mis en place par l’Union européenne. Dans un système concurrentiel, les réseaux exempts de censure bénéficient d’un gros avantage compétitif : ils attirent davantage de membres actifs, alors que le fact‑checking représente un coût supplémentaire…
L’élection de Trump, quelques coups de fil et l’approche des auditions au Sénat finiront par convaincre les plus dociles… à commencer par Meta.
Dans une vidéo publiée le 7 janvier 2025, Mark Zuckerberg annonce la fin du programme de fact‑checking, déclarant : « Nous allons nous débarrasser des fact‑checkers et les remplacer par des notes de la communauté, similaires à X, en commençant par les États‑Unis. »
Troisième domino: Google
Dans une lettre adressée à la Commission européenne début 2025, Kent Walker, président des affaires mondiales de Google, emboîte le pas à Zuckerberg et exprime le refus de l'entreprise de se plier aux nouvelles exigences en matière de fact‑checking. Pour Google l'intégration du fact‑checking « n'est tout simplement pas appropriée ou efficace » pour ses services. L'entreprise préfère miser sur ses propres outils de modération de contenu, comme les notes contextuelles ajoutées par les utilisateurs sur YouTube, un système qui n'est pas sans rappeler les « Community Notes » de X.
La position de l’UE devient intenable
Dès lors que X, Facebook, Instagram, Google et YouTube refusent de jouer le jeu, l'UE se retrouve dans une situation intenable. Si l’UE pouvait encore tenter de couper l'accès de X aux habitants des États membres de l’UE, il n’en est pas de même si elle compte couper la quasi‑totalité des réseaux sociaux (sans compter que Musk pourrait racheter TikTok dans un proche avenir). Outre l’impopularité d’une telle décision, elle mettrait en évidence de manière trop flagrante la réalité d’une illusion démocratique nécessaire à l’adhésion et à la survie du système actuel.
Une lutte à mort
Car il s'agit bien de la survie d'un système fondé sur le contrôle exercé sur les classes dirigeantes et les médias, un système qui s'approprie la capacité de sélectionner les informations jugées utiles pour atteindre ses objectifs et d’écarter celles qui les desservent.
Lors d’un débat dans l’émission “C Ce soir” du 9 janvier 2025 sur France Télévision, Fabrice Epelboin, spécialiste des médias sociaux, décrit de manière crue mais réaliste la situation devant un auditoire médusé.
Comment la population réagira‑t-elle lorsque la réalité des informations, jusque‑là qualifiées de fake news ou de complotistes, sera révélée au grand public ? Dépourvus de moyens pour en contenir la diffusion, la classe politique actuelle et les médias y voient, à juste titre, une menace existentielle.
Il n’est dès lors guère surprenant de voir les politiques et les médias crier au loup et traiter Elon Musk de fou dangereux ou d'extrémiste.
La messe n’est pas encore dite, et ceux qui défendent l’ancien système disposent encore de quelques cartouches. Cependant, leur marge de manœuvre semble se réduire de jour en jour, et le retour de Donald Trump, banni de Twitter en 2016, risque de rendre leur tâche particulièrement compliquée.
Marcan pour BAM!