Les colons en colonie de vacances : banaliser l’occupation, effacer la violence

Expiré
Les tribunes
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Depuis Tunis, Ilyes Bellagha signe une réflexion satirique et critique sur la manière dont certains descendants de colons reviennent aujourd’hui en touristes, banalisant l’occupation à travers des vacances exotiques. Le tourisme de pacotille transforme cette nostalgie coloniale en marchandise, effaçant la mémoire des peuples et la violence du passé.

Ah, la nostalgie des pauvres qui se prennent pour des grands… Chez nous, au pays du soleil, on reconnaît vite les anciens colons : ils s’installent sur nos plages comme si elles leur appartenaient encore. Certains diraient que ce n’est pas bien méchant. Mais derrière ces scènes de vacances se cache une mémoire plus lourde : celle de l’occupation qui ne s’efface jamais vraiment.

Les visages venus se bronzer changent de teinte mais pas vraiment de ton. Leurs peaux s’assombrissent sous le soleil, mais leurs gestes rappellent la vieille habitude de s’approprier les lieux. C’est vrai qu’il faut bien faire plaisir aux festifs : les tours opérateurs savent vendre l’illusion. Derrière leurs brochures exotiques, ils dissimulent ceux qui, même loin de chez eux, s’imaginent toujours en terrain conquis. Comme si l’été effaçait l’histoire et blanchissait les mémoires.

Nos visiteurs de la belle saison ne peuvent même pas savoir ce qu’ils perdent en nous ignorant. Ils posent leurs serviettes comme on plante un drapeau, tournent le dos aux habitants, aux récits, aux blessures qui hantent encore ces rivages. Leur soleil n’éclaire que leur propre confort. Le reste – l’histoire, la mémoire, la dignité des peuples – est relégué derrière les palissades des clubs de vacances.

Leur voyage est ainsi non amorti. Ils repartent bronzés, mais vides. Ironie cruelle : ce sont pourtant eux qui nous ont un jour expliqué que les voyages régénèrent la vie, qu’ils ouvrent les esprits et rapprochent les peuples. Mais leurs vacances ressemblent davantage à une répétition coloniale qu’à une découverte. Ils visitent sans voir, consomment sans comprendre, traversent sans jamais rencontrer.

On leur a même préparé des gigolos, pour que leurs femmes puissent croire qu’elles séduisent encore, comme au vieux temps. Le décor est planté : les vacances ne sont pas qu’un moment de détente, elles rejouent les vieux fantasmes coloniaux. Ici, le soleil, la mer et les corps exotiques servent de miroir à leur nostalgie. Ce qui se vend, ce n’est pas seulement un séjour balnéaire : c’est l’illusion d’un passé où tout leur appartenait.

On se fout de leurs esprits comme du dernier quart d’heure avant Jésus‑Christ. Leur mémoire n’est pas la nôtre, leur histoire n’a plus de prise sur nous. Mais ils continuent de voyager comme on rejoue un vieux film : en ignorant les coulisses, en répétant les mêmes rôles. Leur tourisme n’est pas un échange, c’est une mise en scène, un rituel païen où ils se rassurent que le monde tourne encore autour d’eux.

Le colon, pour une saison, se retrouve colonisé par sa propre nostalgie. Une nostalgie que les entrepreneurs du tourisme de pacotille lui servent en forfait tout inclus. On ne lui vend pas seulement un séjour au soleil : on lui vend l’illusion qu’il a encore prise sur un monde qui lui échappe. Derrière les piscines et les cocktails, il achète une mémoire falsifiée, emballée dans le papier glacé des brochures de voyage.

Ilyes Bellagha


Les opinions exprimées dans cette tribune n’engagent que la responsabilité de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de BAM!

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