Une victoire pour la liberté d’expression

Expiré
Liberté & démocratie
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Dans un arrêt du 12 décembre 2024, la Cour de cassation de Belgique rappelle un principe fondamental : même dans un débat sensible comme celui des mesures sanitaires ou de la vaccination, la liberté d'expression protège aussi et surtout les opinions qui dérangent, choquent ou inquiètent, soulignant ainsi son rôle clé dans les sociétés démocratiques où le débat pluraliste est essentiel.

L'affaire concernait un anesthésiste‑réanimateur, membre du Conseil médical de son hôpital, qui avait publié un article critique sur les mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid‑19. Ce texte, diffusé dans une revue médicale en ligne, avait provoqué un avertissement de l'Ordre des médecins, estimant que l’article manquait de prudence et risquait de discréditer les autorités sanitaires.

L’affaire aurait pu s’arrêter là, l’avertissement n’étant pas accompagné de véritables sanctions, mais notre anesthésiste‑réanimateur ne l’entend pas de cette oreille et assigne l’Ordre.

La sanction disciplinaire initiale

Dans sa décision initiale, le Conseil d’appel de l’Ordre des médecins avait confirmé la sanction disciplinaire d’avertissement infligée au praticien. Il reprochait notamment à ce dernier de s’être appuyé sur des bases factuelles jugées insuffisantes pour critiquer les mesures préventives, et d’avoir négligé des aspects essentiels comme la qualité des soins et la protection des patients vulnérables. Par ailleurs, l’Ordre considérait que l’article pouvait inciter à un relâchement des mesures sanitaires alors que le virus était toujours actif.

L'argumentation en cassation

Le médecin s’est pourvu en cassation, invoquant une violation de sa liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Il a fait valoir que ses propos s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général et qu’ils étaient fondés sur des éléments factuels réels, bien que minoritaires ou controversés.

La position de la Cour de cassation

Dans son arrêt, la Cour de cassation a critiqué l’approche de l’Ordre des médecins. Elle a estimé que l’institution avait excédé son rôle en substituant son propre jugement de valeur à celui du médecin. La Cour a rappelé que, dans une société démocratique, les restrictions à la liberté d’expression doivent être proportionnées et justifiées par un besoin social impérieux. Elle a souligné que même des opinions choquantes ou minoritaires bénéficient d’une protection élevée lorsqu’elles contribuent à un débat public sur des questions d’intérêt général.

Cette position est renforcée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

En effet, dans l’affaire Hertel c. Suisse, en 1998, la Cour a protégé un chercheur suisse qui avait publié des travaux critiquant les effets des micro‑ondes sur la santé, jugés minoritaires et controversés.

La CEDH avait estimé que même des opinions peu populaires ou contestées méritent d’être protégées dans une société démocratique, surtout lorsqu’elles participent à un débat d’intérêt général.

De même, dans l’arrêt Fressoz et Roire c. France, en 1999, la Cour a défendu des journalistes qui avaient publié des informations sensibles sur des revenus fiscaux, rappelant que la liberté d’expression inclut aussi les informations qui peuvent choquer ou déranger lorsqu’elles servent le débat public.

Ces principes trouvent un écho direct dans le cas du médecin belge, qui a choisi d’exprimer un avis critique sur les mesures sanitaires liées à la pandémie.

Une victoire pour la liberté d'expression

Par conséquent, la Cour de cassation a annulé la sanction disciplinaire, ordonnant le renvoi de l’affaire devant un Conseil d’appel autrement composé.

Cet arrêt constitue une victoire importante pour la liberté d’expression des professionnels de santé, tout en rappelant que cette liberté s’accompagne de responsabilités et doit s’exercer dans le respect de la déontologie médicale.

Un rappel fondamental

En cassant une décision disciplinaire de l'Ordre des Médecins, la Cour de cassation a souligné qu'une autorité disciplinaire comme l'Ordre ne peut pas imposer ses propres interprétations pour discréditer des jugements de valeur. Comme l’a si bien exprimé la Cour : "Dans un débat d’intérêt général, la liberté d’expression ne saurait être limitée à l’exposé des seules idées généralement admises ; elle s’étend à la diffusion d’informations qui heurtent, choquent ou inquiètent dans des domaines où la certitude fait défaut."

Cette affirmation s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle établie par la Cour européenne des droits de l’homme, comme en témoigne l’affaire Hertel C. Suisse[1], qui défendait les idées minoritaires face à des pressions commerciales, ou l’arrêt Fressoz et Roire C. France[2], qui a renforcé la liberté d'expression des journalistes sur des sujets sensibles.

Ces précédents confirment que, dans des débats complexes comme ceux des mesures sanitaires ou de la vaccination, la pluralité des voix est essentielle pour garantir un véritable débat démocratique.

Une jurisprudence très gênante pour l’Ordre

Concrètement, l'Ordre des Médecins a la possibilité de réintroduire une procédure disciplinaire contre le praticien concerné, mais les arguments fondant la procédure ont été invalidés par la Cour de cassation, rendant toute nouvelle action très improbable.
Cet arrêt ouvre également la voie à d'autres médecins sanctionnés par l'Ordre durant la crise Covid pour faire valoir cette décision, notamment en invoquant l'annulation de leurs propres sanctions. En théorie, cela pourrait également permettre de réclamer des indemnités pour les préjudices subis, bien que la faisabilité juridique de telles démarches dépende de cas spécifiques et pourrait nécessiter une analyse approfondie. Par ailleurs, cette décision renforce l'espoir pour les médecins concernés de rétablir leur réputation et de contester efficacement les mesures disciplinaires prises à leur encontre. On pense notamment au Dr Alain Colignon, Dr  Pascal Sacré, Dr Laurence Kayser, Dr David Bouillon, Dr Gaëtane Beeckaert, Dr Frédéric Goareguer, Dr Cécile Andri,  Dr Stéphane Résimont et tant d’autres.

Isabelle Duchateau et Marcan pour BAM!

Consultez le jugement complet de la Cour de cassation :

https://www.cass.be/pdf/arresten‑arrets/D.23.0001.F.pdf


Illustration

Photo de Johan Pafenols,  Cour de cassation, Palais de Justice de Bruxelles, Salle 1.36

File:Hof van Cassatie - gewone zittingszaal.jpg - Wikimedia Commons

[1] https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001‑62778%22]}

[2] https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001‑28678%22]}

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