Etude EPI-PHARE : le Pr Rentier nous éclaire

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Une nouvelle étude d'EPI‑PHARE fait l'objet d'une large couverture médiatique. L'étude écarte toute surmortalité liée à la vaccination Covid‑19 et conclut que les vaccinés ont un risque plus faible de mourir que les personnes non vaccinées. Le Pr Bernard Rentier, virologue et immunologiste de renommée internationale, recteur honoraire de l'Université de Liège et auteur de plus de 250 publications scientifiques, livre une analyse méthodologique critique qui identifie plusieurs biais structurels majeurs.

L’étude EPI‑PHARE/JAMA Network Open[1] conclut à une diminution du risque de « mortalité toutes causes confondues » aussi bien que de la Covid chez les personnes de 18 à 59 ans vaccinées par ARNm. Toutefois, sa conception introduit d’emblée plusieurs biais majeurs qui empêchent de conclure à « l’absence de risque à long terme » et encore moins à un effet protecteur global sur la mortalité.

L'étude a porté sur une cohorte de 28,6 millions de personnes de 18 à 59 ans vivantes au 01/11/2021, dont 22,7 millions de vaccinés par ARNm entre le 01/05/2021 et le 31/10/2021 (79,4 %) et 5,9 millions de non vaccinés (20,6 %).

Le suivi est en moyenne de 45 mois mais il fait l’objet d’une mesure surprenante : il n’a débuté que 6 mois après la date de vaccination (ou une date assignée aux non‑vaccinés), au prétexte d’éviter « le temps immortel ».

Temps immortel : période de suivi pendant laquelle, par construction du protocole d’étude, un individu ne peut pas encore connaître l’événement étudié (par exemple « décès chez les vaccinés »), ce qui fausse la comparaison entre les groupes. « Éviter le temps immortel » consiste à définir le début du suivi et l’exposition de façon à ce qu’aucun groupe ne bénéficie artificiellement d’une période où l’événement ne peut pas survenir par définition.

Ceci implique évidemment qu’on décide péremptoirement d’emblée qu’un décès pendant les 6 premiers mois après l’injection du vaccin ne puisse absolument pas être attribué à celui‑ci.]

 

Des modèles de Cox ont été pondérés par score de propension incluant les caractéristiques socio‑démographiques et 41 comorbidités connues.

En biostatistique, un score de propension est la probabilité pour un individu de recevoir un traitement (ou d’être exposé) compte tenu de ses caractéristiques observées. Autrement dit, c’est une fonction des variables de base (âge, sexe, comorbidités, facteurs de risque, etc.) qui résume en un seul nombre entre 0 et 1 la « tendance » qu’a cet individu à être dans le groupe traité plutôt que dans le groupe contrôle.

Le score de propension est principalement utilisé dans les études observationnelles pour réduire le biais de sélection et se rapprocher, autant que possible, de la situation d’un essai randomisé.

En appariant, pondérant ou stratifiant les sujets sur ce score, on cherche à rendre comparables les distributions des covariables entre groupes traité et non traité, de sorte que la différence d’issue observée puisse être interprétée plus crédiblement comme un effet causal du traitement.

L’interprétation causale des analyses basées sur le score de propension repose notamment sur l’hypothèse d’indépendance conditionnelle : une fois conditionné sur les covariables incluses dans le score, l’allocation du traitement est supposée « ignorable » (pas d’autres facteurs de confusion non mesurés). Il faut aussi un support commun satisfaisant (chevauchement des scores entre groupes), afin que chaque sujet traité ait des témoins comparables et réciproquement.

 

L’article ne fournit pas une description suffisamment détaillée du score de propension : ni le choix des covariables, ni la qualité et la granularité du codage, ni les déséquilibres résiduels, ni les diagnostics de balance après appariement ou pondération[2].

Sans ces éléments (par exemple standardised mean differences, ratios de variances, graphiques de densité), il n’est pas possible d’évaluer dans quelle mesure les groupes comparés sont réellement équilibrés en ce qui concerne les facteurs mesurés.

Quelle conclusion les auteurs tirent‑ils ?

Les auteurs concluent que, dans leur cohorte nationale de Français de 18–59 ans, les personnes ayant reçu au moins une dose de vaccin ARNm contre la Covid‑19 présentent un risque plus faible de décès, à la fois toutes causes confondues et par Covid‑19 sévère, que les personnes restées non vaccinées pendant la période étudiée.

  • Ils rapportent une réduction de 74% du risque de décès par Covid‑19 sévère hospitalisé chez les vaccinés et de 25% du risque de mortalité toutes causes confondues sur un suivi allant jusqu’à 4 ans, après ajustement par score de propension.
  • Ils indiquent retrouver un moindre risque de décès dans le groupe vacciné « quelle que soit la cause de décès considérée », y compris après exclusion des décès dus à des Covid‑19 sévères.
  • Les auteurs affirment que ces résultats « excluent un risque accru de mortalité toutes causes à 4 ans » chez les personnes vaccinées par ARNm contre la Covid‑19 dans cette tranche d’âge. Ils en déduisent que leur étude renforce le « profil de sécurité » à long terme des vaccins à ARNm largement utilisés, et que la vaccination ne s’accompagne pas d’un excès de mortalité à l’échelle de cette cohorte.

On détecte immédiatement dans ce travail des biais structurels majeurs

1. La sélection des non‑vaccinés et le « healthy vaccinee bias ».

  • Les non‑vaccinés en France à l’automne 2021 constituaient un sous‑groupe très hétérogène : on y trouve une sur‑représentation attendue de personnes précaires, de migrants non recensés, de personnes en rupture de soins ou souffrant de troubles psychiatriques sévères, de pathologies non prises en charge, etc., souvent mal ou tardivement encodés dans le Système National des Données de Santé (SNDS).
  • Le score de propension n’ajuste que sur les variables observables et correctement codées (41 comorbidités déclarées), ce qui laisse intact un « résiduel de confusion » potentiellement massif, en défaveur des non‑vaccinés.
  • Le fait de retrouver un « bénéfice » sur quasiment toutes les causes de décès, y compris celles a priori sans lien plausible avec la vaccination (accidents, certains cancers précoces, morts violentes) suggère typiquement un biais de sélection de type « healthy vaccinee » plutôt qu’un effet biologique global.

2. Début du suivi à +6 mois

  • Le suivi n’a commencé que 6 mois après la vaccination au prétexte d’éviter un biais de « temps immortel » classique (voir plus haut). Toutefois, cela entraîne l’exclusion de l’analyse principale de tous les décès précoces, alors que c’est précisément là que pourraient se concentrer des effets délétères post‑vaccinaux (troubles cardio‑vasculaires, myocardites, arythmies, etc.). Les vaccinés depuis moins de 6 mois qui décèdent sont donc considérés dans cette étude comme des non‑vaccinés.
  • Ces décès survenant dans les 6 mois post‑vaccination sont analysés dans une sous‑étude distincte et sont donc découplés de l’estimation du risque à 4 ans ; l’« absence d’excès à 4 ans » ne dit donc rien sur la fenêtre de risque aigu ou subaigu, mais additionne uniquement ce qui se passe au‑delà de 6 mois.

3. Changement de statut vaccinal

  • Il est advenu que des non‑vaccinés plus préoccupés par leur santé se soient fait vacciner pendant le suivi. Ils ont été éliminés du suivi à la date de vaccination, alors que les vaccinés restent suivis avec accumulation de doses et de rappels. On ne trouve pas de modélisation explicite de ces expositions répétées comme covariables dépendantes du temps. Ceci accentue le contraste entre un groupe vacciné « compliant » et un reliquat de non‑vaccinés plus fragiles socialement et médicalement, non capturé par le score de propension.

4. Résidus massifs de confusion socio‑économique et comportementale

  • EPI‑PHARE rappelle dans ses dossiers que ses études s’appuient sur le Système National des Données de Santé, qui ne capture qu’imparfaitement de nombreux déterminants majeurs de santé (revenus, éducation, isolement, conditions de logement, habitudes de vie, exposition professionnelle, etc.). Or toutes ces variables sont fortement corrélées à la fois au choix vaccinal mais également  au risque de mortalité toutes causes confondues.
  • Le fait que la vaccination semble réduire la mortalité pour presque toutes les causes est compatible avec un gradient comportemental et/ou socio‑économique qui n’est absolument pas mesuré, et non avec un effet pharmacologique universel.

5. Information limitée sur la cause détaillée des décès et surmortalité globale

  • L’analyse détaillée des causes de décès n’est disponible que jusqu’à fin 2023, alors que le suivi en vital status va jusqu’en mars 2025 ; cela empêche d’évaluer les profils de cause à cause sur l’ensemble de la fenêtre des 4 ans.
  • L’étude ne se prononce pas sur la surmortalité globale populationnelle française 2021–2023 (toutes causes, tous âges) et sur son rapport au calendrier vaccinal, ce qui est au cœur du débat scientifique sur les effets indirects ou différés.

6. Interprétation médiatique et politique excessive

  • Plusieurs articles de presse et communiqués institutionnels présentent ces résultats comme « mettant fin aux doutes sur les risques à long terme » ou « démontrant l’absence de danger », alors que l’étude se limite à une mortalité toutes causes dans une cohorte 18–59 ans française, avec les biais dénoncés ci‑dessus.
  • Passer de « pas d’augmentation détectée » à « sécurité à long terme démontrée » est un raccourci logique injustifié car il s’agit d’un seul travail observationnel, même s’il est très vaste, surtout en présence de confusion résiduelle très probable.

Il manque donc une analyse méthodologique détaillée du score de propension (variables incluses, qualité de codage, déséquilibres résiduels, diagnostics de calage).

Il n’y a pas eu de discussion des déterminants socio‑économiques et comportementaux non mesurés, en s’appuyant sur la littérature sur le « healthy vaccinee/user bias » dans les études vaccinales observationnelles.

Enfin, il manque un examen comparatif avec d’autres sources sur la surmortalité en Europe post‑2021, en particulier celles qui stratifient par statut vaccinal ou par période de campagne, afin de montrer que le tableau est plus nuancé.

En résumé

L’article ne permet pas d’exclure un sur‑risque de décès dans les 0–6 mois, ni de trancher sur des risques spécifiques rares (cardio‑vasculaires, auto‑immuns), qui exigeraient des protocoles dédiés et plus puissants.

Il ne permet pas davantage de conclure à l’absence de tout risque à long terme pour toutes les classes d’âge, ni d’extrapoler au‑delà du contexte français et des campagnes vaccinales de 2021 (variants différents , schémas différents , pression épidémique différente).

Il ne fournit pas une description suffisamment détaillée du score de propension : choix des covariables, qualité et granularité du codage, déséquilibres résiduels, ni diagnostics de balance après appariement ou pondération. Sans ces éléments (par exemple standardised mean differences, ratios de variances, graphiques de densité), il est difficile d’évaluer dans quelle mesure les groupes comparés sont réellement équilibrés sur les facteurs mesurés.

Il ne discute pas les déterminants socio‑économiques et comportementaux non mesurés, alors que la littérature montre que les personnes qui se font vacciner sont souvent en meilleure santé, plus observantes et plus insérées socialement (« healthy vaccinee/user bias »). L’absence d’analyse de ces biais de sélection et de comportements préventifs associés au statut vaccinal laisse ouverte la possibilité d’une surestimation de la sécurité ou des bénéfices apparents du vaccin.

Enfin, il ne met pas ses résultats en perspective avec d’autres travaux sur la surmortalité en Europe après 2021, notamment ceux qui stratifient par statut vaccinal ou par phases de campagne[3] [4] [5] [6]. Un examen comparatif systématique de ces séries temporelles et de ces stratifications serait nécessaire pour montrer que le tableau d’ensemble est plus nuancé que ce que suggère l’étude seule.

 

Pr Bernard Rentier

[1] Vaccination par ARNm contre la COVID‑19 et mortalité toutes causes

[2] Balance diagnostics after propensity score matching - PMC

[3] Surmortalité européenne après la vaccination anti‑Covid Patrick E. Meyer, extrait de la version du 18 février 2024 soumise c

[4] Understanding excess mortality in Europe during the COVID‑19 pandemic - The Lancet Regional Health

[5] Excess mortality across countries in the Western World since the COVID‑19 pandemic: ‘Our World in Data’ estimates of January 2020 to December 2022 | BMJ Public Health

[6] Sustained excess all‑cause mortality post COVID‑19 in 21 countries: an ecological investigation | International Journal of Epidemiology | Oxford Academic

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