Pfizer, maître chanteur ?

Santé
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Exceptionnel, des parlementaires canadiens auront accès aux contrats non caviardés que les fabricants de vaccins contre le Covid-19 ont signés avec le gouvernement canadien, et ce malgré une honteuse intimidation des firmes pharmaceutiques et en particulier de Pfizer.

Origine des faits

En février 2023, la députée québécoise Nathalie Sinclair-Desgagné a proposé le vote d'une motion au parlement d’Ottawa, exigeant du gouvernement que les contrats portant sur les vaccins contre le Covid-19 soient examinés afin d'assurer la transparence et la responsabilisation.
Au total, le Canada a acheté 169 millions de doses pour un coût d'environ 5 milliards.
Comme l’expliquait la députée à l'origine de la motion, lors d’une interview avec  Radio-canada[1]:  “On va voir si on a payé des prix exorbitants et s’assurer qu’il n’y ait pas eu d’abus de la part des pharmaceutiques sur, par exemple, la quantité de vaccins qui devaient être achetés ou sur les options d’achats qui étaient potentiellement déraisonnables[2].

En effet, un rapport de la vérificatrice en chef du Canada avait notamment conclu qu'au moins 50 millions de doses avaient été achetées en trop, soit une valeur d'environ 1,5 milliard de dollars…[3]
“S’il y a quelque chose de scandaleux dans ces contrats, ça va finir par se savoir”, a résumé Nathalie Sinclair-Desgagné.
Parallèlement, le gouvernement canadien avait été fortement critiqué à la fin de 2020 pour son approche jugée par trop confidentielle avec les compagnies pharmaceutiques.
Comme l'avait déclaré Matthew Green, porte-parole du NPD pour les services publics et l'approvisionnement : ”Le gouvernement de Justin Trudeau s’est battu bec et ongles pour éviter de divulguer tout contrat de vaccin au parlement, prétextant que cela menaçait des intérêts commerciaux.[4]

Assez édifiant, plusieurs membres du comité des comptes publics se sont plaints d'avoir reçu des lettres de différentes chambres de commerce et compagnies pharmaceutiques pour tenter de les convaincre de voter contre la motion… Toutes les lettres nous menaçaient à mots couverts”, a déclaré au journal canadien le député Kelly McCauley.

La très attendue séance du vote pour ou contre la motion,  rapportée par le Western Standard News[5] a eu lieu le 23 mars dernier, en présence des compagnies pharmaceutiques Pfizer, Moderna et Sanofi.
Les fabricants de vaccins ont plaidé que cette décision pourrait mettre à mal la confiance en la sécurité de l'information sur leurs contrats et leur chaîne d'approvisionnement.
Patricia Gauthier, PDG de Moderna Canada, y a déclaré que ”aucune  version non caviardée n'a été fournie à des parlements à travers le monde !”,
Nous n'avons fait ça nulle part sur la planète”, a surenchéri la présidente de Pfizer Canada, Najah Sampson.

Un  « grave précédent » qui aura des conséquences, annonce Pfizer

L’entreprise pharmaceutique a prévenu le gouvernement canadien que la publication des  contrats Covid portera préjudice à sa réputation. Les déclarations de la présidente de Pfizer Canada menacent  implicitement  de porter atteinte à la crédibilité du Canada en tant que partenaire commercial:

  • ...vos investissements pourraient quitter le pays.
  • Réfléchissez attentivement à notre point de vue avant de créer un précédent avec des conséquences imprévues sur la réputation du Canada”, 
  • Cela enverrait un message clair aux partenaires commerciaux et aux entreprises cherchant à investir au Canada, que les garanties de confidentialité négociées de manière équitable avec le gouvernement fédéral pourraient ne pas être respectées.


Toutefois, bien que très peu relayée par les médias, la motion a bien été votée majoritairement  par des députés de l'opposition, dont on saluera la probité et le courage, qui ont décidé d’ignorer la pression et  les menaces indirectes au profit d’une transparence réclamée en vain depuis deux ans!
Dans le courant du mois d’avril, les onze députés membres de la commission des comptes publics pourront donc prendre connaissance de tous les détails des contrats dans une salle à huis clos, surveillée par un greffier, mais comme convenu, sans possibilité d'enregistrer ou de prendre des notes.
Les parlementaires auront ainsi accès au prix par dose payé par Ottawa à chaque compagnie, mais aussi à toutes les clauses auxquelles se serait soumis le gouvernement.

Opacité sans précédent dans les contrats d'approvisionnement en vaccins Covid-19

C’est  la première fois dans l’histoire de la recherche médicale qu'apparaissent des clauses de confidentialité aussi strictes, comme le relève le Journal of Law et Politics de l'université de New-york[6] : “Le niveau de rédaction requis par les NDA (accords de confidentialité) des contrats d'approvisionnement en vaccins Covid-19 est sans précédent. Lorsqu’on les compare avec les contrats de vaccin précédents, ceux concernant la Covid-19 ont près de cinquante fois plus de restrictions.”
À ce jour, parmi les très rares contrats d'approvisionnement en vaccins Covid-19 révélés publiquement, des conditions cruciales telles que le prix par dose ou les calendriers de livraison ont été systématiquement expurgées.
“Ce manque de transparence viole les normes internationales des droits de l'homme car il limite le droit à l'information et, par conséquent, le droit à la santé.”

Pfizer accusé d'intimidation dans les négociations sur les vaccins Covid en Amérique latine

De plus, lors de leurs négociations, certaines sociétés pharmaceutiques ont été accusées d'imposer des conditions inacceptables pour l'achat des vaccins.
C’est ce que  révèle  l’article “Retenu contre rançon” paru  dans  le “ Bureau of Investigative Journalism”  du 23 février 2022[7].
Pfizer aurait été accusé d'intimidation envers les gouvernements latino-américains lors des négociations sur les vaccins contre le Covid-19.
Selon des responsables argentins qui ont signé un accord de confidentialité avec Pfizer, le géant pharmaceutique aurait demandé la garantie d'actifs souverains, tels que des bâtiments d'ambassades et des bases militaires, comme garantie contre le coût de toute future affaire judiciaire !

Les demandes de Pfizer ont entraîné un retard de trois mois dans la conclusion de certains accords sur les vaccins. Aucun accord national n’a d'ailleurs pu être conclu avec l'Argentine et le Brésil.
Les négociateurs argentins ont décrit les demandes de Pfizer comme du “harcèlement de haut niveau" et ont déclaré que le gouvernement avait l'impression d'être "pris en otage" …
Ici aussi Pfizer aurait demandé une indemnisation supplémentaire en cas de réclamation civile potentielle des citoyens en Argentine et au Brésil en cas d'effets négatifs après leur vaccination, en exigeant que des actifs souverains soient utilisés comme garantie pour couvrir les coûts juridiques futurs.

Si la confidentialité des contrats pharmaceutiques est  importante pour la protection  des  secrets de fabrication des entreprises, chacun sait qu’elle peut également être utilisée pour dissimuler des pratiques non éthiques ou illégales. Il est vital que les citoyens aient accès à des informations pertinentes sur les décisions prises par leur gouvernement concernant la santé publique.

Partout dans le monde, des bras de fer ont lieu pour pulvériser un niveau d'opacité jamais atteint auparavant autour de la signature de tels engagements. Sans doute est-elle à la mesure des sommes pharaoniques sur des contrats que paraphaient quelques rares élus choisis pour leur “compétence”.

La conclusion est simple et claque comme un coup de revolver : les géants de l’industrie pharmaceutique créent unilatéralement et en toute impunité leurs propres lois qu’ils imposent par diverses voies à des gouvernements playmobils qui les exécutent dans le désintérêt flagrant d’une population de plus en plus fragilisée.

Que faire pour que les balles ne fassent pas trop de victimes ?

Sandrine Heerebout


Source photo :
Image  Adobestock recadree
fountain pen with ink on white paper background
Par  Peter Hofstetter

[1] Première mondiale : les fabricants de vaccins dévoileront leurs contrats au Canada:
[2] Vaccins COVID-19: le Bloc demande d’examiner les contrats avec les pharmaceutiques | JDM
[3] Des millions de doses de vaccins contre la COVID-19 ont été gaspillées | Coronavirus | Radio-Canada.ca 
[4] Pfizer executives attempt to block secret COVID-19 vaccine contracts from MPs | Business | westernstandard.news
[5] Pfizer executives attempt to block secret COVID-19 vaccine contracts from MPs | Business | westernstandard.news
[6] Non-disclosure Agreements and Equitable Access to COVID-19 Vaccines – NYU JILP
[7] ‘Held to ransom’: Pfizer demands governments gamble with state assets to secure vaccine deal