Omicron : l’heure des choix

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"L’impact sanitaire du variant omicron n’a plus rien à voir avec celui de ses prédécesseurs. Il est dès lors grand temps de se pencher sur la légitimité des restrictions qui continuent à rythmer notre quotidien."

"Plus d’un mois après le début de la vague omicron en Belgique, il est temps de faire un bilan et de tirer les conséquences de ce nouveau variant, tant en termes de santé publique que de mesures de lutte contre le covid."

"Remarquons d’abord que les prévisions catastrophistes présentées à la fin du mois de décembre ne se sont pas réalisées, tant s’en faut. Pour rappel, les modèles sur lesquels se basent nos gouvernements pour prendre des mesures restrictives prédisaient entre 600 et 1.000 nouvelles hospitalisations covid par jour à la mi-janvier. Dans les faits, nous n’avons jamais atteint les 400 hospitalisations au-delà de quelques jours, et tout indique que le pic est aujourd’hui dépassé. Il s’avère que, si le variant omicron est extrêmement contagieux, sa sévérité n’a rien à voir avec ses devanciers. Une récente étude française a ainsi montré que le risque – pour les personnes de moins de 80 ans – de présenter un événement hospitalier grave est près de 8 fois moins élevé pour un patient infecté par omicron par rapport à delta[1]. En Belgique comme ailleurs en Europe, l’impact d’omicron sur les soins intensifs, élément crucial qui a justifié toute la politique sanitaire depuis deux ans, est négligeable. De même, l’impact sur la mortalité globale est à peine perceptible."

"Ces éléments ont de quoi surprendre, tant ils constituent un changement fondamental par rapport aux effets du covid dans sa version delta. Ils ne surprendront pourtant pas ceux qui prêtaient attention à ce qui se passait en Afrique du Sud, au Danemark ou au Royaume-Uni, l’évolution constatée en Belgique étant en parfaite conformité avec ce qui avait été observé dans ces pays. Ils ne surprendront pas non plus les médecins, qui savent depuis quelques semaines déjà qu’omicron affecte les voies respiratoires hautes et n’attaque pas les poumons. Or c’est bien cette infection des poumons par le SARS-Cov-2, et la réponse hyper-inflammatoire qu’elle déclenche, qui provoquent la majorité des complications. On peut bien sûr s’inquiéter du nombre de patients hospitalisés labélisés « covid » en hausse. Mais il faut préciser qu’un nombre important de celles-ci concerne des hospitalisations non « pour » covid, mais « avec » covid. La proportion exacte en est inconnue, mais on peut rappeler qu’une étude sud-africaine a évalué à 63 % le nombre de patients répertoriés « covid » hospitalisés pour une autre raison[2]."

"La présence d’omicron dans la société est telle qu’il n’y a aucune surprise à voir une proportion importante de personnes venues à l’hôpital pour tout autre chose se révéler positives par PCR et être asymptomatiques. Rappelons également que le problème, dans cette crise, n’a jamais été le nombre d’hospitalisations « classiques » (il y a en moyenne 5.000 hospitalisations chaque jour en Belgique et 52.000 lits disponibles), mais la gravité de celles-ci et la pression mise sur les soins intensifs. Le nombre de malades aujourd’hui en soins intensifs à cause d’une infection à omicron est aujourd’hui difficile à évaluer tellement elle est faible."

"Des restrictions à revoir"

"En termes d’impact sur la santé publique et les hôpitaux, omicron ne doit pas seulement être considéré comme un variant de plus, plus contagieux, mais moins sévère. Il transforme en réalité le covid en une maladie différente aux conséquences incomparables, et sans conteste minimes, par rapport aux variants précédents. Pour le mesurer, il faut se demander ce que nous aurions fait si, au début de l’année 2020, le covid venu de Chine avait présenté ces chiffres de sévérité et de mortalité. Probablement rien, ou pas grand-chose, en tout cas pas un confinement ni même des fermetures d’activités. Pourtant, alors que nous avons toutes les données à notre disposition, nous en sommes toujours à des adaptations de type incrémental des politiques de restrictions. Le « game changer » que constitue omicron appelle au contraire à une remise en cause et à une redéfinition globale de cette politique. Un nombre croissant de pays européens ont aujourd’hui pris la mesure de ce changement de paradigme. En Belgique, il a fallu attendre 3 semaines de quasi-paralysie de la société pour modifier les règles de quarantaine dans les écoles – et encore nous fait-on savoir qu’il s’agit d’une simple suspension. Quelles données attend-on encore pour prendre en compte cette nouvelle réalité et adapter la politique menée en conséquence ? Trois semaines ? Trois mois ?"

"Car les chiffres cités ici montrent qu’avec omicron, le covid est devenu une maladie pour laquelle le maintien de mesures restrictives est non seulement disproportionné, mais, pour bon nombre d’entre elles, totalement aberrant. Par exemple, quel sens y a-t-il à interdire à un jeune de 25 ans en parfaite santé d’avoir une vie sociale et de pratiquer un sport collectif parce qu’il n’a pas pris un vaccin incapable de ralentir la diffusion du virus ? Pourquoi continuer à tester et à isoler les asymptomatiques pour une maladie si peu sévère bien que très contagieuse ? Plus généralement, les mesures prises ont-elles un effet mesurable sur le rythme de diffusion du virus avec un variant aussi contagieux ? Et même si c’est le cas, quel est l’intérêt de retarder de quelques jours ou semaines ce qui apparaît inéluctable, c’est-à-dire que l’immense majorité de la population sera en contact avec ce virus ? Toute mesure prise occasionne des coûts en termes psychologiques, économiques et sociaux qui deviennent de plus en plus évidents. On les perpétue alors que le bénéfice face à Omicron est devenu quasiment nul. Pour mesurer l’absurdité de la situation, on peut rappeler les propos de certains responsables d’unités de soins intensifs qui expliquent que le principal problème posé par le covid aujourd’hui réside moins dans l’arrivée de nouveaux malades, que dans l’absentéisme dû aux quarantaines du personnel, ou dans la nécessité de garder leurs enfants suite à une fermeture de classe."

"Une routine trop bien installée"

"La prolongation des mesures est parfois justifiée par la crainte de voir émerger un variant du covid plus pathogène. Cette possibilité ne peut bien sûr être totalement écartée, mais on voit mal le lien avec la poursuite de la politique actuelle. En quoi faire plus d’une centaine de milliers de tests PCR par jour permet-il de se préparer à un variant problématique ? Il nous paraît au contraire que, plus vite nous sortirons de ces restrictions, et plus vite la planification et la préparation à d’autres problèmes de santé publique pourront commencer."

"On peut comprendre que les changements radicaux soient difficiles à décider et à assumer. Le « path dependancy » est un phénomène bien connu en politique publique. Après deux ans de pandémie et de communication anxiogène, une routine s’est installée qui fait que, pour les décideurs comme pour une partie de la population, un retour brutal à la vie d’avant est difficilement envisageable. Opérer un tel mouvement demande du courage politique, peut-être autant que celui qu’il a fallu en mars 2020 pour décider du confinement."

"Une grogne qui monte"

"On ne change pas de monde si facilement, même s’il s’agit de revenir dans le monde d’avant. Mais nous sommes aujourd’hui dans une situation où la fin de la crise ne dépend plus de la situation sanitaire, mais d’une décision politique. Celle-ci est nécessaire si l’on veut maintenir une quelconque crédibilité de la politique menée auprès de la population. À défaut, c’est une autre option qui prévaudra : celle d’une perpétuation du contrôle social sous un prétexte sanitaire. Or ce contrôle, ressenti de plus en plus comme injuste et injustifié, commence à créer des mouvements de contestation de la part de citoyens de plus en plus nombreux. En cas de maintien des mesures sanitaires, ces mouvements ne pourront que grandir et risquent de devenir incontrôlables, ou récupérés par des mouvements extrémistes."

"Sans que l’on s’en rende compte, ce qui se joue aujourd’hui va bien au-delà d’une crise sanitaire. Car si l’on justifie des mesures restrictives avec un variant comme Omicron, il y en aura à n’en pas douter tous les hivers dès que la grippe fera son retour. C’est d’ailleurs le sens du baromètre récemment adopté en Codeco. Si celui-ci avait été d’application pour la grippe, nous aurions été en code rouge durant plusieurs mois d’hiver deux années sur trois. On s’installera alors dans une nouvelle normalité où nos vies seront régulées au rythme des hospitalisations et dépendront directement de la situation dans les hôpitaux. Il s’agit là d’un choix de société et, osons le mot, de civilisation."

"Tous les choix sont respectables et envisageables, à condition de les exposer clairement et qu’ils fassent l’objet d’un débat démocratique. Du fait de sa faible sévérité, Omicron ne nous offre plus l’excuse de l’urgence pour faire face à un virus mettant en péril la santé publique. Nous entrons dès aujourd’hui dans le monde d’après et il importe de définir ce qu’il sera à travers un réel débat public : un retour à la normalité d’avant, éclairée par l’expérience de cette crise, ou la perpétuation d’une situation où l’État peut décider à sa guise de fermer des secteurs et de contrôler le statut médical de ses citoyens ?"


[1] Vincent Auvigne etal., « Serious hospital events following symptomatic infection with Sars-CoV-2 Omicron and Delta variants : an exposed-unexposed cohort study in December 2021 from the COVID-19 surveillance databases in France », MedRxiv, preprint.

[2] F. Abdullah, J. Meyers, etal.,« Decreased severity of disease during the first global omicron variant covid-19 outbreak in a large hospital in Tshwane, South Africa », International Journal of Infectious Diseases, 28/12/2021.

Lien vers le site original (et la liste des signataires) :
https://www.lesoir.be

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