Nous recevons un nombre croissant de tribunes engagées sur la situation politique en France.
BAM a décidé de publier celle de Christian Daniel, ancien directeur départemental des services pénitentiaires d’insertion et de probation, qui s’oppose fermement à la nouvelle approche sécuritaire du ministre de la Justice Gérald Darmanin et à sa volonté affichée de répondre à la délinquance par une politique du « tout carcéral ».
Si le pays peut s’enorgueillir d’avoir bénéficié de l’action d’un ministre de la Justice qui a laissé une trace magnifique dans l’Histoire, Robert Badinter, le fait que cela se reproduise avec le ministre actuel, Gérald Darmanin, est hautement improbable. Le grand homme, décédé l’an dernier, a fait humaniser les prisons dès le début des années quatre‑vingt, a proposé à l’Assemblée nationale de créer la peine de travail d’intérêt général (vote à l’humanité), a donné à la réinsertion tout son sens et a proposé au Parlement d’abolir la peine de mort. Dans le prolongement de son impulsion, le milieu ouvert s’est développé, le partenariat s’est renforcé pour finaliser des politiques offensives de suivi des personnes placées sous main de Justice.
Ces orientations ont connu une forme d’aboutissement avec la réforme des Services pénitentiaires d’insertion et de probation, intervenue en 1999.
La Culture en prison
Ainsi, au travers de la dynamique d’ouverture et d’extension du partenariat, une politique conjointe de développement de l’action culturelle fut menée et un premier protocole d’accord fut signé entre le ministre de la Justice, Robert Badinter et le ministre de la Culture, Jack Lang, en 1986. « Il s’agit pour le ministère de la Justice de prévenir les difficultés d’insertion et de réinsertion que peuvent rencontrer les personnes confiées à ses services, à la suite de la décision de Justice, en encourageant la diffusion et le déploiement de pratiques culturelles et artistiques. »
Structuration du milieu ouvert
Par décret du 14 mars 1986, le fonctionnement du milieu ouvert avait connu une réforme significative. Les changements opérés entraînèrent une structuration qui manquait cruellement à ce secteur. « Dans le cadre des dispositions législatives régissant l’exécution des peines en milieu ouvert, qui demeurent inchangées et, à la lumière desquelles doivent s’interpréter les dispositions du décret, la réforme vise donc essentiellement à renforcer les moyens mis à la disposition du juge de l’application des peines pour la mise en œuvre des mesures qui lui sont confiées ».
Participation de l’institution judiciaire à la politique de la ville
Par circulaire de Pierre Arpaillange, Garde des sceaux, en 1989, et dans le prolongement de la dynamique engagée dans les années quatre‑vingt, il était nécessaire de développer des liens entre les services de l’État et les collectivités territoriales pour agir au plus près des problématiques posées dans les quartiers : ainsi naissait et prenait corps le concept de la politique de la ville. Le ministre de la Justice, Henri Nallet, et celui de la Ville, Michel Delebarre, à l’occasion d’un colloque à l'École nationale de la magistrature, à Paris, affirmèrent leur volonté commune de travailler ensemble.
Le maintien des liens familiaux
« Le maintien des liens familiaux pour les personnes incarcérées est un élément déterminant de leur réinsertion. L’accueil des familles peut y contribuer dans une large mesure. A cet égard, tous les acteurs de la ville où se trouve implantée une prison sont concernés afin de limiter l’effet ségrégatif de l’incarcération sur les familles de détenus. » Dans ce cadre , il était proposé de favoriser la mise en place, à proximité de l’établissement pénitentiaire, de structures d’accueil gérées par des associations, offrant une variété de services. Cette démarche reposait sur la mobilisation et l’investissement de nombreux bénévoles.
Convention d’objectifs avec la FNARS
Le 11 juillet 1989, fut signée une convention d’objectifs entre la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS) représentée par son président, Gabriel Hardy, et le ministère de la Justice, représenté par Pierre Arpaillange. La FNARS, à l’époque regroupait quatre‑cents associations, cinq mille bénévoles et accueillait cent mille personnes par an en situation de précarité. Ce partenariat est essentiel, en termes d’insertion, d’hébergement, de formation...
Convention nationale avec l’ANPE
Régulièrement depuis une bonne trentaine d’années, une convention cadre fut signée entre le ministère de la Justice et la direction de l’ANPE puis plus tard avec Pôle emploi. Ce partenariat visait à faciliter la réinsertion des détenus, élargir les actions de réinsertion professionnelle des personnes placées sous main de Justice et leur permettre d’accéder au droit commun.
Accord‑cadre entre l’Union des missions locales et le ministère de la Justice
Un accord-cadre entre l’Union nationale des missions locales est renouvelé régulièrement depuis 1994 entre l’Union des missions locales et le ministère de la Justice afin de permettre aux jeunes placés sous main de Justice d’accéder aux services de droit commun et ainsi préparer leur insertion ou réinsertion sociale et professionnelle. Cette politique conjointe contribue pleinement à la prévention de la récidive
Le travail d’intérêt général
En 1993, fut organisé un premier bilan de la peine de travail d’intérêt général. Pierre Méhaignerie, Garde des sceaux, s’exprimait ainsi : « Le travail d’intérêt général apparaît plus que jamais comme une peine novatrice dans le système pénal Français et Européen, la diversité de ses formes juridiques, l’originalité de son prononcé qui requiert le consentement du prévenu et de ses modalités qui impliquent la participation de la société civile, ont contribué à la transformation du droit positif, des pratiques judiciaires et j’ajouterai, du sens et du contenu de la sanction. » Le slogan de cet anniversaire des dix ans de cette peine était : « Le travail d’intérêt général a dix ans, le résultat en vaut la peine ».
Loi Présomption innocence
En juin 2000, fut promulguée, par Elisabeth Guigou, la Loi Présomption d'innocence qui instituait une juridictionnalisation de l’application des peines.
Rapport sénatorial sur les prisons
« Une humiliation pour la République » : Une commission d’enquête du Sénat sur les prisons constatait l’état déplorable du système pénitentiaire français et pointait notamment l’augmentation continue de la population pénale, les conditions de détention, le manque de moyens pour la réinsertion, le déficit d’accès aux soins...
Loi portant création de la fonction de contrôleur général des lieux privatifs de liberté
En février 2000, fut créée la fonction de Contrôleur général des lieux privatifs de liberté. Cette mesure, essentielle dans un État de droit, permettait la nomination d’une autorité administrative indépendante chargée de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté.
Les prémisses de la réforme
Pierre Méhaignerie, lors de la séance du 4 juillet à l’Assemblée nationale, présentait ainsi son programme : « Le gouvernement va porter l’accent sur les mesures exécutées en milieu ouvert, travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve. Ces mesures sont peu utilisées, faute de structures d’encadrement(…) Si l’on veut éviter des incarcérations inutiles, il faut s’en donner les moyens. Le nombre de travailleurs sociaux en milieu libre sera doublé en cinq ans. »
La création des Services pénitentiaires d’insertion et de probation
Engagée depuis 1994, la réforme des services pénitentiaires d’insertion et de probation prenait corps : En 1999, Elisabeth Guigou, Garde des sceaux, présentait ainsi ces nouveaux services : « Pour mieux prendre en charge ces missions, pour développer une forte synergie entre les personnels des établissements et les travailleurs sociaux en milieu libre, et pour garantir aux magistrats une meilleure exécution des décisions qu’ils prononcent j’ai décidé de créer les services pénitentiaires d’insertion et de probation. ». Plus de 25 ans après, ce service public de Justice a démontré son efficience, même s’il faut déplorer un manque colossal de moyens humains et financiers.
Les textes de la loi Perben 2
Si certaines parties de la loi « portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité » voyaient leur mise en place espacée dans le temps, celle concernant « la nouvelle procédure aménagement de peine », dite NPAP, donna lieu à la sortie d’un décret quant aux conditions de sa mise en œuvre. Directement issu du rapport Warsmann , ce volet, forme de « sas de sortie », était une révolution culturelle.
« Dans son principe, ce nouveau dispositif permettait aux personnes condamnées à une ou plusieurs peines comprises entre six mois et cinq ans, d’exécuter les derniers mois de détention dans le cadre d’un aménagement de peine ( semi‑liberté, placement extérieur, placement sous surveillance électronique). » Ces mesures devaient porter sur les trois derniers mois, si la peine était comprise entre six mois et deux ans et sur les six derniers mois, si la peine était comprise entre deux et cinq ans.
Le développement des aménagements de peine
Lors de son discours du 25 juillet 2007, Rachida Dati affirma qu’elle souhaitait « donner une véritable impulsion à la politique d’aménagement des peines. (…) Les sorties qui ne sont pas accompagnées favorisent la récidive. Encourager les aménagements de peine, c’est favoriser la réinsertion. »
Loi dite « Taubira »
Ce texte majeur, promulgué sous le quinquennat de Hollande, était relatif à l’individualisation des peines et au renforcement des sanctions pénales. Christiane Taubira s’inscrivait pleinement dans la suite de ce que Robert Badinter avait initié.
Rapport du contrôleur général sur les lieux privatifs de liberté février 2018
« Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale »
Annonce du plan de réforme du système carcéral par le président de la République
L’exécution, hors prison, des peines inférieures à six mois
La création d’une agence du Travail d’intérêt général.
Mille cinq‑cents conseiller(e)s pénitentiaires d’insertion et de probation seront recrutés
Loi de programme 2018‑2022
Pour éviter les courtes peines, il était décidé que les peines d’emprisonnement de moins d’un mois seraient interdites. Un accent était mis sur l’exécution des courtes peines dans le cadre de la semi‑liberté, du placement extérieur et de la détention à domicile sous surveillance électronique.
Condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme
La France est condamnée, en 2020, par la Cour européenne des Droits de l’Homme en raison de la surpopulation carcérale et des conditions de détention jugées inhumaines et dégradantes.
Un tournant funeste
Ces dernières années, et particulièrement depuis l’arrivée de Gérald Darmanin comme ministre de la Justice, une forme sérieuse de régression est constatée. Les objectifs ne sont plus les mêmes et ce qui était, depuis plus de quarante ans, dans une courbe ascendante avec une évolution progressive vers un mode positif et efficient connaît, une réelle remise en cause.
Il est urgent de stopper cet engrenage fou qui consisterait à vouloir répondre à un problème de sécurité par la création inéluctable de places de prison et la multiplication de déclarations populistes et démagogiques. Il convient de rappeler que le coût de la prison est exorbitant, pour une utilité très relative alors que des solutions existent qu’il convient de promouvoir.
Nous constatons, dans la dernière période, un recul manifeste dans la politique menée par le gouvernement en matière de Justice, l’annonce d’orientations qui remettent en cause le travail des prédécesseurs du ministre de la Justice, quelles que soient leur appartenance politique.
Revenir sur les activités en détention
Le ministre de la Justice a annoncé vouloir supprimer une partie des activités en prison. Cette décision restrictive s’inscrit en contradiction des textes et particulièrement des protocoles établis entre le ministère de la Justice et celui de la Culture. Les détenus ont le droit de pratiquer des activités culturelles et artistiques. « C’est un tort de supprimer de telles activités prévues par la loi ». Cette annonce est d’autant plus incohérente que la participation à des activités dans la prison était fortement incitée jusqu’à présent. Il convient de rappeler que les activités concourent à ce que la personne retrouve progressivement sa place dans la société.
Vouloir que les courtes peines soient exécutées en prison
Annoncer sur toutes les chaînes et tous les médias que les courtes peines seront désormais exécutées en prison relève d’une parfaite méconnaissance de la question et d’une démarche inutile et contre‑productive. La démarche poursuivie par les précédents ministres de la Justice intégrait un principe de recherche d’efficience en terme de prévention de la récidive. Cette décision s’inscrit de même en contradiction des mesures annoncées par le Président de la République dans le Plan de réforme du système carcéral.
Proposition du groupe Horizon de rétablir les courtes peines de moins d’un mois
Cette annonce faite par les députés du groupe horizon s’inscrit dans cette même logique démagogique et inutile adoptée par le ministre de la Justice
Les chercheurs qui se sont penchés sur la question de la récidive, au cours des dernières années, ont mis en évidence le bien fondé de mesures comme le placement extérieur, la semi‑liberté, et la détention à domicile sous surveillance électronique.
Christian DANIEL[1]
Ancien directeur des services pénitentiaires d’insertion et de probation de l’Essonne, des Hautes de Seine et du Morbihan, auteur d’essais, je souhaite manifester aujourd’hui ma colère de voir, qu’en quelques mois, tout ce en quoi je croyais et pour lequel j’ai consacré ma vie professionnelle est sabordé au nom d’une démagogie populiste au détriment de la mission de prévention de la récidive et à l’encontre des personnes suivies et des victimes. J’attends du président de la République l’impulsion nécessaire à la bonne marche de la Justice et l’adoption d’une démarche humaniste dans les actions qui seront mises en œuvre.
Les opinions exprimées dans cette tribune n’engagent que la responsabilité de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de BAM!
Chapô et illustration de BAM!
[1] Christian DANIEL, ancien directeur des services pénitentiaires d’insertion et de probation, auteur de : « Probation, Insertion , les deux axes d’une politique ambitieuse de prévention de la récidive », « Agissons aujourd’hui afin que demain soit encore possible », « Une clique au pouvoir »...