Carnaval Sauvage : une liberté qui dérange

© Renaud Cagna

Liberté & démocratie
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Ce samedi 19 février, l'annuel Carnaval Sauvage a été interrompu par de violentes interventions policières, comme en témoignent les participants. Au vu du contexte - un événement festif, on s'interroge sur la proportionnalité et la nécessité de ces mesures policières.

Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, le Carnaval sauvage existe à Bruxelles depuis 2012 .  Sauvage car sans autorisation communale préalable, ce défilé poétique sillonne les quartiers populaires au son des fifres et tambours, pour s’achever à la nuit autour d’un grand feu de joie en périphérie de la ville - cette année, une friche sur le site de Tour et Taxi . 

Jusqu'à 2020, le Carnaval Sauvage s’est déroulé joyeusement et pacifiquement, dans un accord tacite avec la Commune de Bruxelles. En 2021, contexte de confinement, la police s'était cependant déjà montrée plus répressive.

Le Carnaval Sauvage célèbre autant le nouveau printemps qu’il se moque de la gentrification. On y compte chaque année de plus en plus de monde. Un vrai carnaval, quoi !

Mais lors de sa récente édition, il en a été autrement. Dès 22h00, des dizaines de policiers armés ont pris position sur le site, escortés d'une autopompe. Ces derniers se sont déployés avec une agressivité démesurée sur les carnavaliers qui dansaient encore aux sons des tambours. Dans quel but ? Le résultat en tout cas, ce sont pas mal de blessés et une inquiétante atteinte aux droits fondamentaux d'un pays comme le nôtre, que de nombreux participants ont relayée sur les médias publics et les réseaux sociaux. En voici quelques-uns :

« Bonsoir à tous ! Ce samedi 19/03/2022 se déroulait dans la joie et la bonne humeur le carnaval sauvage à Bruxelles. Pour conclure ce chouette événement, nous avons tous fini dans une friche à Tour et Taxis. Vers 22h00 la police est arrivée sur les lieux afin de disperser la foule. Avec mes amies nous avons décidé de nous écarter et d'aller plus loin, au niveau de la rue Drève du Parc, afin d'éviter les débordements. Alors que nous étions tout à fait calmes et en partance, des camions à canons à eaux sont alors arrivés et les policiers ont commencé à nous charger. Comme je ne marchais pas assez vite, l’un des policiers s'est mis alors à me taper le crâne avec son bouclier et sa matraque. J'ai commencé à saigner, et je suis tombée au sol, blessée et en état de choc. Heureusement, plusieurs personnes sont venues m'aider et ont pu appeler une ambulance. Aucun policier ne nous est venu en aide malgré nos nombreuses interpellations. Les personnes près de moi se sont également faites gazer gratuitement. Plusieurs de mes copains ont fini comme moi, aux urgences. Je me retrouve avec une commotion cérébrale, et avec une plaie qui a nécessité sept agrafes pour être soignée. C’était une action d'une violence inouïe. Injustifiée. Nous étions sur le départ, pacifistes, et voilà comment agit la police dans la zone de Bruxelles...Nous ne voulons pas laisser passer ça. »

« Bonjour, concernant les violences policières : quand les policiers ont chargé pour évacuer les gens de Tour&taxi j'étais dans le flux à marcher vers la sortie, d'un coup ils ont accéléré et ont commencé à taper sur tout ce qui bouge, balancé les gazs lacrymo etc. Je n'ai rien vu venir et pris un bon coup de matraque à l'arrière du crâne. Pendant 20-30 secondes, je n'entendais plus rien mais j'ai continué à foncer vers la sortie. Une amie était avec moi et s'est rendue compte que je pissais le sang. Des ambulances étaient déjà présentes et j'ai donc vite été prise en charge. Résultat cinq points de suture et un mal de crâne bien prononcé. Une autre fille s'est retrouvée aux urgences en même temps que moi le visage couvert de sang. Cet événement était ultra bon enfant et à aucun moment je n'imaginais terminer la soirée de cette façon ... »

« A la fin du carnaval sauvage, les flics sont venus disperser tout le monde. Le feu laissé vacant, quelques personnes y sont retournées pour le rallumer et contester contre cette fin de carnaval imposée et autoritaire. La pompe à eau s'est ramenée et nous a balancé de l'eau poivrée. Un peu plus loin, on voit un mec tomber à genoux après avoir reçu du Pepper spray très près des yeux. Il ne savait plus bouger. La pompe à eau s'approchait de lui ainsi que des camionnettes policières un peu trop excitées. On avait peur que le mec se fasse écraser ou tabasser, et on a couru pour le porter plus loin. Sur le trajet, avec le type dans les bras, la pompe à eau nous rattrape et nous balance des jets dessus. C'était violent, on avait un blessé avec nous. On essayait tant bien que mal de le soulever, en passant par la butte, et les flics en ligne nous suivaient de près avec la pompe à eau qui continuait à lancer de l'eau poivrée (alors que tout le monde était juste en train de partir). Des jets de bombes lacrymo fusaient aussi de partout. Les flics semblaient vouloir arrêter les gens un peu à la traîne alors on se dépêchait du mieux qu'on pouvait. J'avais à peine lâché le mec qu'un projectile est venu me heurter au niveau du genou. Sur le coup, je me suis effondrée, croyant mon genou complètement pété. Les secours sont venus assez rapidement. Finalement rien de cassé, juste un ligament abîmé. Le projectile est venu frapper mon genou de manière horizontale, et venait clairement des lignes de flics. Je pense à un tir de gaz lacrymo... »

« La police (une cinquantaine de policiers environ) a couru vers la foule et envoyé des lacrymos dans la foule à plus de 40 mètres. Je ne pense pas que ça aidera mais déjà cette scène témoignait d'un étrange contraste entre une foule qui dansaient sous les tambours simplement sans aucun débordement violent et des lacrymo envoyés directement dans la foule » ...

Ici un lien vers l’interview filmée d’une des victimes qui a décidé avec d’autres de ne pas en rester là et de porter plainte contre la ville de Bruxelles.

https://www.dhnet.be/regions/bruxelles/bain-de-sang-au-carnaval-sauvage-une-plainte-collective-contre-la-ville-de-bruxelles-623dfd5d7b50a6746051f2e3

Que signifie cette violence officialisée à l’encontre d’une partie des enfants du pays qui sortent de deux années de quasi claustration et se voient maintenant dangereusement réprimés physique et psychologiquement parce qu'ils ''osaient'' célébrer la fin de l’hiver autour d’un feu de joie sur un terrain vague ?

Par ailleurs, les victimes déposeront également une plainte auprès du comité P (Le Comité permanent de contrôle des services de police).

 

Par Henri Miran pour BAM!