Covid-19 et réduction du risque d’hospitalisation : pour une stratégie ciblée sur la base des profils cliniques des malades

Revues de Presse
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"Le Covid-19 ne frappe pas tout le monde de la même façon. Si la plupart des gens savent qu’il frappe plus sévèrement les personnes âgées, d’autres facteurs de risque sont tout aussi importants.

Ainsi, aux États-Unis, une étude sur plus de 540.000 patients hospitalisés montre que moins de 3% des patients admis aux soins intensifs pour Covid-19, et moins de 1% des décédés, n’avaient aucune comorbidité connue.1 Les comorbidités et autres facteurs de risque augmentant la probabilité de souffrir d’une forme sévère de Covid-19 sont bien connus dans la littérature scientifique. L’importance de ces facteurs est pourtant peu expliquée au public, qui continue de penser que tout le monde a le même risque face au Covid-19.2 Ces facteurs ne semblent pas davantage être pris en compte dans les stratégies de gestion de crise."

"L’une des plus vastes études menées à ce jour, au niveau mondial, publiée en août 2021, conclut : “Our study indicated a consistent and statistically significant effect of chronic comorbidities, complications, and demographic variables including acute kidney injury, COPD 3, diabetes, hypertension, CVDs 4, cancer, increased D-dimer, male gender, older age, current smoker, and obesity on the fatal outcome of COVID-19. Urgent public health interventions should be carefully tailored and implemented on those susceptible groups to reduce the risk of mortality in patients with COVID‐19 and, then, the risk of major complications. An intensive and regular follow-up is required to detect early occurrences of clinical conditions.” 5"

"Mais quelles actions sont mises en place au-delà de la focalisation sur le virus, et rien que le virus ?6"

"En Belgique également, les hospitalisations ‘avec Covid’ concernent, dans leur immense majorité, des personnes avec un ou des facteurs de risque préalables connus. Les rapports de Sciensano égrènent, semaine après semaine, la proportion de patients présentant ou non des problèmes de santé préexistants.7 En moyenne, 70% des personnes hospitalisées ‘avec Covid’ ont plus de 60 ans ; néanmoins, l’âge s’accompagne souvent de comorbidités, qui sont bien connues pour aggraver la sévérité du Covid-19. Les facteurs de risque recensés par Sciensano sont les suivants : l’hypertension artérielle (≈ 38% des patients), les maladies cardiovasculaires (≈ 31%), le diabète (≈ 22,5%), les maladies pulmonaires chroniques (≈ 15%), les maladies rénales chroniques (≈ 13%), l’obésité 8 (≈ 12%), les troubles cognitifs (≈ 9,5%), les cancers/tumeurs cancéreuses (≈ 9,5%), les maladies hépatiques chroniques (≈ 2,5%), les troubles neurologiques (≈ 8%), les troubles immunitaire/l’immunodépression (≈ 2%),  les cancers hématologiques (≈ 2%), les transplantations.9 Ainsi, indépendamment de l’âge, en moyenne, en Belgique, plus de 70% des personnes hospitalisées ‘avec Covid’ souffrent au moins d’une de ces pathologies préalables.10 En outre, un récent rapport hospitalier français nous apprend qu’un “quart des patients hospitalisés souffrait d’une carence (dénutrition, anémie chronique, carence en vitamine D)”.11 "

"Sur la base des chiffres disponibles, nous pouvons donc raisonnablement estimer qu’en Belgique, 80% des admissions ‘avec Covid’ à l’hôpital concernent des personnes ayant un facteur de risque préalable (âge ou comorbidité), connu et identifiable."

"Concernant les unités de soins intensifs (USI), nous ne disposons pas de données aussi précises sur les admissions en Belgique. Pour l’ensemble des personnes hospitalisées en USI, Sciensano nous indique dans les graphiques des rapports hospitaliers : 12"

"• que les catégories d’âge au-dessus de 60 ans représentent autour de 60% des patients selon les semaines, 
• que pour les 40-59 ans (représentant un peu moins de 40% des patients en soins intensifs en moyenne, ces derniers mois), seuls 25% n’ont aucun facteur de comorbidité, 
• et pour les 20-39 (représentant à peine 5% des patients en soins intensifs en moyenne), environ 60% ont au moins un facteur de comorbidité."

"Outre les facteurs qui sont identifiés en Belgique, le rapport hospitalier français nous apprend que 27% des patients hospitalisés en services de soins critiques pour Covid souffraient de dénutrition (21%), d’anémie chronique (8%), ou de carence en vitamine D (4%).13"

"Il apparaît dès lors réaliste d’estimer le nombre de personnes ayant au moins un facteur de risque en soins intensifs en Belgique, à environ 90%."

"Pour les décès, nous savons qu’en Belgique, 92% des personnes décédées ‘avec Covid’ avaient plus de 65 ans, mais n’avons pas de chiffres concernant leurs facteurs de risque et comorbidités. Il faut se tourner vers des études internationales qui indiquent des taux de 97 à 99% de décès ‘Covid’ dus à l’âge ou autres facteurs de risque.14"

"Enfin, sur les 11,56 millions de Belges, le chiffre de 2,5 à 3,5 millions de personnes ayant l’un des facteurs de risque précités est communément cité.15"

"Sur la base de ces chiffres et des données de Sciensano disponibles 16 concernant les nombres d’admissions journalières à l’hôpital, de patients en USI et de décès ‘Covid’ par jour, nous présentons ci-dessous des estimations des nombres moyens et incidences 17 pour les Belges ayant ou non au moins un facteur de risque préalablement identifié, selon les proportions détaillées dans les titres des figures.18 Le rapport de risques d’une population par rapport à l’autre est également estimé sur la base du rapport des deux incidences (ou prévalences pour les USI).19

"Ces graphiques parlent d’eux-mêmes. La non-prise en compte des facteurs de risque précités constitue la cause principale de l’engorgement potentiel de nos hôpitaux et des décès en Belgique. Il apparaît dès lors crucial, décent et humain d’identifier les personnes à risque de tomber sévèrement malades du Covid-19, de s’en préoccuper en priorité et de développer des stratégies ciblées adaptées pour les aider selon leurs besoins."

"Nos dirigeants, leurs experts et les médias devraient plus se focaliser sur ces facteurs de risque pour éviter des souffrances et sauver des vies, ainsi que pour ‘sauver le système hospitalier’, plutôt que sur des mesures non ciblées qui ne montrent pas une efficacité aussi probante qu’annoncée. Il s’agit d’ailleurs de principes fondamentaux de la santé publique : l’identification des différents types de populations les plus vulnérables à un problème de santé (populations cibles), la conception (avec leur participation) de mesures adaptées à leurs besoins particuliers, ce qui est à la fois plus efficient (meilleurs résultats pour des ressources données) et plus équitable – l’équité étant à bien différencier de l’égalité, et signifiant ‘traitement égal à besoin égal’ (en corollaire, traitement différent à besoin différent)."

"Quelles mesures ciblées sur les facteurs de risque doivent être envisagées ?"

"Il convient bien sûr d’intensifier les activités de promotion de la santé (incitation à l’exercice physique, à l’alimentation saine, au repos, à l’arrêt des comportements nocifs) et de prévention (supplémentation nutritionnelle, mesures de protection renforcées).20 A court terme, quand on est capable d’inciter 88% des adultes à se rendre dans un centre de vaccination (ou chez leur médecin traitant) pour se faire vacciner, il serait judicieux et hautement profitable de prévoir, dans ces centres, un examen clinique comprenant des mesures de la tension artérielle, de l’indice de masse corporelle et du taux de glucose sanguin. Ces trois tests simples, rapides et peu coûteux permettraient déjà d’identifier, d’informer et de conscientiser les personnes les plus à risque de Covid-19 sévère."

"De manière urgente et prioritaire, il conviendrait de prendre en compte un facteur supplémentaire important qui peut malheureusement conduire une personne atteinte du Covid-19 à l’hôpital, voire aux soins intensifs ou à décéder : le retard de prise en charge médicale en première ligne dès les premiers symptômes. Un des dangers connus du Covid-19 est en effet la rapidité de la dégradation de l’état de santé des patients. Évite-t-on des cas graves et des hospitalisations en ne s’occupant pas des personnes testées positives, en ne les voyant pas, en recommandant les consultations téléphoniques, en laissant leur état se dégrader pendant plusieurs jours au domicile avec du paracétamol, surtout si elles présentent un facteur de risque préalable et identifiable ? N’est-il pas possible d’anticiper les aggravations potentielles par une prise en charge adéquate ?"

"Sciensano recommande en effet toujours dans ses procédures de gestion de cas Covid-19 : 21"

"• “Les patients présentant des symptômes de COVID-19 … doivent donc contacter leur médecin traitant par téléphone, qui fera alors une évaluation et les orientera éventuellement vers un centre de tri/test ou vers l’hôpital.”, 
• puis recommande aux médecins généralistes comme seuls traitements pour les patients non hospitalisés : 22 “Le patient est traité de manière symptomatique. Le paracétamol reste le premier choix pour le traitement de la douleur et de la fièvre… utilisation d’anticoagulants 23 … utilisation correcte de l’oxygène 24 ”, 
• ensuite, seulement “En cas de saturation des hôpitaux, le KCE … a élaboré un outil de travail pour la prise en charge intensive ambulatoire.” (détails ci-dessous),
• enfin, “Si le patient est en isolement à domicile, demandez-lui de vous recontacter : si les symptômes s’aggravent ; si de nouveaux symptômes apparaissent ; …”."

"Nulle part, il n’est recommandé dans ces procédures d’ausculter le patient, et de le suivre tous les jours, si c’est une personne à risque ou si les symptômes sont importants. Pourtant,  le KCE ou Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé 25 a mis au point un arbre décisionnel pour la prise en charge à domicile de patients atteints de COVID-19 et qui se trouvent dans un état préoccupant, “en prévision d’une éventuelle saturation (toujours redoutée) des services hospitaliers belges”. 26 Cette stratégie prévoit une prise en charge ambulatoire rapide et intensive 27 des patients Covid-19 dont l’état présente certains signes de gravité facilement identifiables grâce à un examen clinique minutieux à domicile (température, tension artérielle, saturation en oxygène, fréquences cardiaque et respiratoire, état d’hydratation, auscultation cardio-pulmonaire,… ). Une série de médicaments (utilisés avec efficacité en hôpital) peuvent alors être prescrits par les médecins généralistes, selon la clinique du patient : anti-inflammatoires non stéroïdiens, corticostéroïdes ou anticoagulants dont la posologie est à adapter à chaque malade, antibiothérapie appropriée en cas de co-infections ou surinfections bactériennes qui risquent de se greffer à l’infection virale initiale…28 et enfin, si nécessaire, oxygénothérapie. Cette prise en charge vise à diminuer de manière drastique le risque d’hospitalisation et donc de saturation des hôpitaux."

"Des médecins de terrain réclament la généralisation urgente d’une telle approche thérapeutique. Pourquoi ne sont-ils pas entendus et soutenus ? 29"

"On nous rétorquera peut-être que de nombreuses personnes à risque, notamment dans des groupes socio-économiquement défavorisés, n’ont pas de médecin traitant pour assurer une telle prise en charge précoce. Mais est-ce encore une excuse après 18 mois de crise sanitaire ? Dans la situation que nous connaissons, est-il impossible, en urgence, à l’image de ce qui a été fait pour la vaccination et le testing/tracing, d’ouvrir des structures médicales de proximité là où cela manque, ou de faire appel à notre armée et ses moyens de déploiement rapide comme dans le cas de catastrophes humanitaires, ou de mobiliser le système de tracing pour appeler et diriger les personnes vulnérables testées positives vers des médecins traitants ou structures médicales existantes…? "

"N’est-il pas urgent de revenir aux fondements de la médecine et de la santé publique, de se préoccuper en priorité des citoyens à risque et de la prise en charge ciblée et adaptée des patients Covid-19 à domicile ?"

"Le blog du #covidrationnel"


↑1 Underlying Medical Conditions and Severe Illness Among 540,667 Adults Hospitalized With COVID-19

↑2 https://covidrationnel.be/visuels-didactiques/, #4

↑3 Chronic Obstructive Pulmonary Disease

↑4 Cardiovascular Diseases

↑5 https://bmcinfectdis.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12879-021-06536-3

↑6 “When My Information Changes, I Alter My Conclusions.”

↑7 https://www.md-universal.eu/images/COVID-19_Weekly_report_FR.pdf

↑8 définie par un IMC ou indice de masse corporelle supérieur à 30. Ceci peut être aisément calculé ici : https://www.imc.fr/

↑9 https://datastudio.google.com

↑10, ↑12 https://www.md-universal.eu/images/COVID-19_Hospital_epidemiology_Part_1.pdf

↑11, ↑13 https://www.md-universal.eu/images/aah_2020_analyse_covid.pdf

↑14 https://www.cdc.gov/pcd/issues/2021/21_0123.htm, https://www.epicentro.iss.it/en/coronavirus/bollettino/Report-COVID-2019_5_october_2021.pdf

↑15 https://www.lesoir.be, https://www.health.belgium.be

↑16 des 2 semaines précédant le 19/11/21, https://covid-19.sciensano.be

↑17 ou prévalences pour les USI

↑18 L’incidence a été calculée en multipliant le nombre moyen quotidien par 14 jours et en le ramenant à 100.000 personnes. Pour ce qui concerne les personnes en USI, le nombre d’admissions quotidiennes n’étant pas disponible pour les périodes précédentes, nous avons calculé la prévalence sur base de nombre de lits ‘Covid’ occupés à la fin de la période, rapporté sur 100.000 personnes (le chiffre obtenu a été multiplié par 10 pour la mise à échelle).

↑19 Nous reconnaissons que l’analyse ne prend pas en compte, de manière complète, la co-dépendance existant entre âge et facteurs de comorbidité, mais les données précises pour ce faire ne sont pas disponibles de manière ouverte en Belgique. Remarquons que les calculs de rapports d’incidences pour les hospitalisations, soins intensifs et décès, documentés récemment par Sciensano en fonction du statut vaccinal, se basent sur ce seul paramètre pour des classes d’âges très larges et négligent tous les facteurs dits confondants analysés ici, pour des populations pourtant très diversifiées.

↑20 COVID-19: time for paradigm shift in the nexus between local, national and global health

↑21 https://covid-19.sciensano.be/fr/procedures/gestion-dun-cas-covid-19

↑22 https://covid-19.sciensano.be/fr/procedures/traitement

↑23 https://covid-19.sciensano.be/sites/default/files/Covid19/COVID-19_Anticoagulation_Management_0.pdf

↑24 En maisons de repos et de soins, https://covid-19.sciensano.be

↑25 En concertation avec la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG), le Collège de Médecine Générale, Domus Medica, l’Academisch Centrum Huisartsgeneeskunde, l’Agence fédérale du Médicament et des Produits de santé (AFMPS), le Conseil Supérieur de la santé (CSS) et Sciensano

↑26 soins-ambulatoires-aux-patients-covid-19, Decision-aid-Worrisome-patient-FR, Ambulatory_care.pdf

↑27 Jusqu’à 2 à 3 fois par jour, avec la collaboration par ex. des infirmiers qui visitent les personnes âgées ou malades à domicile

↑28 COVID-19: an ‘extraterrestrial’ disease? – ScienceDirect

↑29 des-observateurs-et-observatrices-de-terrain, lettre-ouverte-a-nos-elus-et-nos-medias, https://covisoins.be/, decourages-les-medecins-generalistes-poussent-un-coup-de-gueule-apres-le-comite-de-concertation

Lire l'article dans son intégralité ici :
https://covidrationnel.be

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