Le Conseil d’Etat ne démolit pas l’avant-projet de loi pandémie

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"La plus haute instance administrative ne remet pas en cause les principes fondamentaux du texte. Ce dernier avait pourtant été contesté par de nombreux juristes auditionnés à la Chambre ces dernières semaines."

"Elle n’a pas encore été votée mais elle a déjà fait couler beaucoup d’encre et cela n’est pas près de s’arrêter. Nouvelle étape franchie pour la future loi pandémie la section législation du Conseil d’Etat a rendu son très attendu avis–un épais texte de 70 pages–sur l’avant-projet de loi de la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V). La juridiction ne fait pas écho aux nombreuses réserves émises par des juristes, des instances officielles et la société civile."

"Un texte aux enjeux considérables"

"Avant de décrypter ces recommandations, généralement suivies, il n’est pas inutile de rappeler le contexte très particulier du texte et ses enjeux colossaux. La loi pandémie qui s’intitule en vrai «loi relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique» vise à créer un cadre légal plus solide et plus transparent pour la gestion de la crise du covid et de toute situation d’urgence épidémique qui pourrait se présenter à l’avenir… Ce n’est pas rien, la tâche est ardue. D’autant que de nombreuses critiques ont été émises ces derniers mois–rien que dans nos pages, 25 constitutionnalistes, 20.000 avocats ou encore de nombreux représentants de la société civile se sont exprimés avec virulence–à l’égard du gouvernement fédéral et de la formulation de ses réponses pour lutter contre l’épidémie."

"En simplifiant, on reproche la mainmise complète de l’exécutif sur la prise de décision et, par ricochet, la mise à l’écart du Parlement, seule assemblée pourtant élue directement. Egalement le fait que des mesures qui restreignent les droits fondamentaux des citoyens (liberté de circulation, de réunion, de commerce…) sont prises par arrêté ministériel–on en dénombre près de 40 depuis le début de l’épidémie–sans s’appuyer sur des bases légales suffisantes. Ce qu’a d’ailleurs confirmé un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles le 12 avril dernier. Une décision de justice qui a, fatalement, un peu plus précipité le procédé en cours: la juge a donné 30 jours à l’Etat–qui a interjeté appel: la décision sera rendue avant le 30 avril–pour se conformer au jugement."

"Détail essentiel à mentionner: ce n’est jamais le bien-fondé des mesures qui est attaqué mais bien la manière dont ces règles à suivre sont édictées."

"Les compétences «larges» du fédéral confirmées"

"En réponse aux attaques, le gouvernement avait donc promis une loi pour éviter le flou à l’avenir. Et s’est engagé début février à soumettre une copie très précoce du texte (l’avant-projet) aux députés. «Une première», selon nos dirigeants. Dans ce cadre, 25 experts ont été entendus en commission de l’Intérieur, 20 avis écrits remis et des échanges organisés avec la ministre durant le mois de mars. Le tout rassemblé dans un compte rendu de 624 pages. Précisons-le: les analyses des parties sollicitées par les parlementaires n’épargnent pas cette première version du texte. C’est que la copie d’Annelies Verlinden s’inspire fortement de ce qui a été mis en œuvre depuis un an."

"Manquait encore avant de s’atteler à la rédaction d’un projet de loi, cette fois, l’avis obligatoire (mais non contraignant) de la section législation du Conseil d’Etat. Il est tombé jeudi en matinée. Ceci n’est pas un détail: il a été rendu en assemblée générale (les chambres francophone et néerlandophone rassemblées), un fait rare qui souligne l’importance accordée au texte."

"«Un premier enseignement de l’avis», souligne Emmanuel Slautsky, professeur de droit public à l’ULB, «tient à la lecture plutôt large qu’il fait des compétences fédérales en matière sanitaire par rapport à celles des entités fédérées, ce qui se justifie par le fait qu’il faut permettre à l’autorité fédérale d’élaborer une réponse adéquate, efficace, en cas d’urgence épidémique. Cette lecture confirme en quelque sorte, la manière dont on a fonctionné ces derniers mois»."

"Autrement dit: le fédéral peut par exemple très bien décider de fermer les écoles, uniquement si la situation sanitaire l’impose cela va sans dire, et ce même si l’enseignement est une compétence communautaire. L’avis tranche également une inquiétude soulevée lors des auditions à la chambre: une fois que la situation d’urgence épidémique est déclarée, c’est la loi pandémie qui sera appliquée, plutôt que les trois lois utilisées jusqu’à présent pour justifier les arrêtés ministériels."

"L’épineux volet vie privée validé"

"Troisième point d’importance: de nombreux experts considéraient que les pouvoirs de la ministre de l’Intérieur devraient être davantage balisés par le texte et que chaque arrêté ministériel devrait être confirmé par le Parlement. Le Conseil d’Etat ne va pas aussi loin. «Il estime que les éléments essentiels, soit la liste des mesures à prendre (couvre-feu, port du masque…, NDLR), tout comme le cadre dans lequel elles peuvent entrer en vigueur, sont déjà suffisamment précisés dans le texte de la loi pandémie», poursuit Emmanuel Slautsky. «Cependant, l’avis mentionne aussi que rien n’empêche de prévoir dans la loi que les mesures prises par la ministre doivent être confirmées par le Parlement en aval de leur adoption. Ce n’est pas un hasard et, selon moi, une telle confirmation devrait être prévue par les députés pour assurer un débat parlementaire systématique sur les mesures prises et faire en sorte qu’une prise de position publique des différents groupes politiques intervienne à leur propos. Il faudrait cependant, dans ce cas, veiller à améliorer les possibilités de recours juridictionnels contre les mesures qui seraient ainsi confirmées.»"

"Enfin, l’avis est, à nouveau, assez doux sur le volet «vie privée» du texte. Pour rappel, toute ingérence dans le traitement de vos données personnelles impose une loi. L’avant-projet prévoit qu’un arrêté royal délègue provisoirement cette compétence au Roi: le Parlement doit ensuite confirmer ou infirmer les décisions prises dans les 15 jours. Ce que le Conseil d’Etat ne conteste pas."

"La directrice du centre de connaissance de l’Autorité de protection des données (APD), Alexandra Jaspar, avait pourtant considéré, à l’instar d’autres juristes spécialisés, que dans ce cadre «l’urgence était rarement justifiée et qu’il n’y avait pas de raison par conséquent de priver le Parlement de faire son travail», insistant sur le fait que «les délégations de compétences au profit de l’exécutif étaient bien trop larges»."

"Par Amandine Cloot
Journaliste au service Economie"


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