Arrestation : témoignage depuis ma cellule

Les tribunes
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Nous avons reçu, par mail, de nombreux témoignages décrivant les arrestations de citoyens venus manifester au Cinquantenaire le 23 janvier dernier.

Certains ont été embarqués, privés de liberté pendant 5 heures, puis libérés, sans avoir signé le moindre papier administratif.
Nous avons décidé d'en publier un, sous forme de tribune anonyme.

BXL 23.01.22

J'écris de ma cellule. Mon délit ? Ça dépend pour qui. Pour le policier, refus d'obéir aux ordres d'évacuation du Cinquantenaire. Selon moi, c'est défendre la liberté !

Je n'étais pas seule aujourd'hui, c'est la raison pour laquelle je vais manifester, me sentir moins seule, pour sortir ma colère car quand je suis là-bas, je n'ai plus de doute sur la pertinence de mon combat et ça me fait du bien. Aujourd'hui, c'était différent...

J'ai été encerclée par la police au Cinquantenaire vers 15h45. Comme la masse de gens encore présents, on a fui à l'approche des autopompes, je ne sais pas pourquoi ni comment, on n'a rien vu venir, nous nous sommes fait encercler par des policiers arborant la tenue de Robocop. Maintenus près de 3h sur place sans aucune rébellion, ils venaient nous chercher de manière ciblée, un par un.

A mon tour, je suis emmenée derrière les combis et fouillée, les poches seulement. J'ai d'ailleurs dû y laisser ton Opinel Papou, ça me fait mal mais ils ne l'emporteront pas au paradis tu sais. La dame en bleu m'a dit que certains l'emportaient en manif pour faire des dégâts. Des gens comme moi, lui ai-je demandé ? S'est-elle sentie prise à son propre jeu, plongée pour une fraction de seconde dans ses contradictions, elle n'a rien répondu. Trois colsons seront utiles, un portant un numéro, deux pour me menotter dans le dos. Voilà, on y est, je suis arrêtée. Une première ! Première aussi assise par terre, un poteau entre les jambes pendant 30 minutes. Ils font des files de 12 personnes. Ils ne voulaient certainement pas qu'on les accuse de discrimination, les filles ont été les premières assises et les dernières embarquées. L'agent de police qui m'accompagne vers mon carrosse à lumière bleue m'explique qu'il n'a pas d'enfant. Je lui réponds que j'espère qu'il n'en n'aura pas car ça va être difficile pour lui de leur expliquer ce qu'il a fait pour préserver leur liberté. Il me répondra qu'il n'a fait qu'obéir aux ordres... Les nazis qui ne faisaient qu'ouvrir les portes des camps aussi...

Dans mon taxi m'emmenant vers le lieu sécurisé qui m'empêchera de porter atteinte à la sécurité des gens, je suis encore plus en colère... Très en colère. Je me surprends à dégueuler mes profs de français et de littérature, qui en me faisant découvrir Sénèque, Camus, Sartre et bien trop d'autres, m'ont donné cette horrible conviction que le combat pour la liberté et le respect de chacun était un devoir et devait être poursuivi. Et puis merde, je travaille déjà 38h semaine pour soutenir la liberté de chacun, qu'est-ce que je fous ici ? Je ressens aussi un tsunami de haine pour tous les PRO mesures covid, pour ceux qui ont espéré que j'attrape un covid grave, mon médecin qui m'a souhaité de perdre quelqu'un de cher, ceux qui n'ont plus voulu me voir parce que j'étais un danger, ceux qui vouent un culte au JT de RTL, les petits chefs qui profitent de cette crise pour vaincre leur frustration en asseyant leur pouvoir, pour ceux qui m'ont traitée d'emmerdeuse alors que je citais un texte de loi, ceux qui trouvent ça normal que je n'aie plus le droit de pratiquer mon sport ou d'aller au resto, ceux qui ne sont pas pour le CST mais qui le contrôlent quand-même car "tu comprends, il faut bien que quelqu'un le fasse, si c'est pas moi, ça sera un autre", ces flics qui obéissent aux ordres alors que je me bats pour la liberté de leurs enfants. Je les dégueule tous du plus profond de mes tripes ! Aujourd'hui, qu'ils ne croisent pas ma route, ils pourraient payer la violence que je contiens depuis 4h. Mon regard se lève alors sur mes co-détenues...

La plus jeune écrit sur les murs des messages de liberté, une autre est installée comme si elle était rodée à la situation, d'autres embêtent gentiment les flics en demandant de l'eau et des gaufres, d'autres chantent et dansent... Un tel spectacle impose à mes pensées de haine envers ceux qui ne pensent pas comme moi de se calmer. Penser du mal des gens, ce n'est pas moi, ce n'est pas mon combat, c'est de l'émotionnel, c'est tout ce que je vomis ! Je m'octroie juste un instant ce droit quand-même, merde, je suis encore plus privée de liberté là ! Désolée de me laisser aller à penser ça mais juste aujourd'hui, foutez-moi la paix ! Demain ça ira certainement mieux, je reprendrai l'armure et les armes, forte de mes convictions, je répondrai sans jugement à vos croyances, en vous invitant à l'esprit critique. Mais pas là, plus maintenant après 5h de privation de liberté sans manger, sans pisser ! Société de merde !

On repassera pour l'organisation, les policiers sont obligés de regarder notre numéro sur notre poignet pour savoir d'où on vient car il ne faut pas mélanger les bus. Confusion cellule 8, cellule 9 ? Démenottées par erreur avant d'entrer en cellule, ils ne nous ont pas fait l'affront de les remettre. On entendait beaucoup de policiers demander à leurs collègues si des nouvelles recrues étaient présentes. Etions-nous dans un exercice grandeur nature pour des policiers récemment plongés dans cette mascarade ? Au vu des aberrations vécues au niveau organisationnel, ça prendrait sens. Et puis, pourquoi dire 60 arrestations administratives dans les médias ? Nous étions beaucoup plus! Par contre, combien de casseurs arrêtés, combien de flics sauvés des heurts par les renforts... ? Peut-être parce que minimum 50 flics ont été mobilisés pour nous encercler pendant 3h sans compter tous les autres pour organiser le tralala d'après. Résultat ? En cellule avec GSM, clopes, même pas fouillées de manière plus intrusive. Nos cartes d'identité demandées à la sortie de cellule ne sont même pas scannées, juste nos noms et prénoms copiés sur des feuilles volantes... Mais est-ce vraiment une arrestation administrative ? Nous n'avons signé aucun document. On ressent fort le danger que nous représentions ! 20h45, notre carrosse nous dépose à Maelbeek et je retrouve enfin ma liberté relative.

Il me plaît de voir des messages quand je prends la direction qui me convient... Après enfin avoir retrouvé les co-manifestants masculins (redéposés à 21h15 à un endroit différent du nôtre, évidemment !), on a tenté le resto... Ah oui on avait faim ! Et vous savez quoi ? Dans ce resto, on est accueilli sans masque et on ne demande pas de CST. A cette serveuse, arborant un joli sourire sans masque : merci, tu as été ma lueur ! Grâce à toi, mon combat a encore gagné en conviction. Ce soir, je l'entends déjà se réveiller !

 

Par Yacoma Hic (pseudonyme)


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celle de BAM!

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