Article 2/4 : «Des décisions fondées sur des données douteuses»

Expiré
Politique
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La capacité hospitalière était en grande partie dépendante de la gestion logistique à l’échelon national, fondée sur la volonté d’éviter une saturation du système hospitalier. Le problème, c’est que les données sur la saturation des lits d’hôpitaux n’étaient pas rigoureusement fiables - et ne le sont toujours pas. À l’heure où le Parlement belge vote une « loi pandémie » qui entérine et érige en modèle la gestion de crise depuis 15 mois, on peut donc légitimement s’interroger sur la pertinence de mesures sanitaires contraignantes basées sur les seuils d’occupation des soins intensifs.

L’hécatombe annoncée dans les hôpitaux belges n’a jamais eu lieu. Les projections statistiques qui ont fondé la gestion de la crise se basaient sur des modèles exponentiels qui ne se sont vérifiés sur le terrain à aucun moment depuis quinze mois. Certes, les USI[1] ont connu une année chargée mais peut-on parler de sursaturation ? Il n’est un secret pour personne qu’en temps normal, les services de soins intensifs sont soumis à une surcharge fréquente[2] dans les hôpitaux[3]. D’où vient ce décalage entre les prévisions si pessimistes et la réalité ?

Systèmes d’information insuffisants

Connaître en temps réel le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux est fondamental pour gérer efficacement la répartition des malades sur le territoire. Or, lors de la première vague, les systèmes d’information existants étaient « insuffisants pour caractériser la capacité et l’utilisation des soins intensifs. Au moment de l’apparition de la première vague de la pandémie, on ne connaissait pas le nombre exact de lits de soins intensifs dans notre pays, ni la durée exacte du séjour à l’hôpital et aux soins intensifs des patients COVID-19 [ …]

En outre, le comité [de concertation] basait son calcul de capacité sur des données administratives (c’est-à-dire le nombre de lits agréés[4]), alors que la donnée importante en cas de crise est le nombre de lits opérationnels et surtout le nombre de lits de soins intensifs opérationnels. En effet, un lit agréé non opérationnel ne peut être activé que si le personnel, l’infrastructure et l’équipement nécessaires sont disponibles. Le comité ne disposait pas non plus d’informations sur le personnel hospitalier disponible[5] », selon le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). Son rapport s’interroge également sur l’absence de données concernant la durée de séjour des patients. C’est pourtant un facteur décisif pour juger de la pression sur les soins intensifs. Car si les admissions en USI sont systématiquement supérieures aux sorties, l’hôpital s’engorge progressivement.

Le rapport du KCE conclut donc sans surprise que le HTSC[6] a manqué d’informations cruciales pour juger de la pression sur les soins intensifs en Belgique[7] lors de la première vague. Sur base de quelles données, le gouvernement prévoyait-il alors une saturation majeure et imminente des hôpitaux en cas de non-respect des règles sanitaires ? Ni Sciensano, ni l’ICMS[8] n’ont été capables de fournir ces données. Pourquoi autant d’informations manquantes ?

Manque de coordination

Les services publics[9] ont mis sur pied une série de groupe de travaux et de Taskforce afin de « coordonner » leurs actions. Certains groupes et structures existaient déjà[10] alors que d’autres ont été créés pour gérer la crise[[11]. Santhea[12] pointe toutefois le manque de coordination entre ces taskforces : « Un nombre invraisemblable de structures ont été mises en place sans que les liens et les hiérarchies entre elles soient très clairs […] L’intervention non coordonnée des multiples acteurs aura notamment mené à une fourniture d’informations parfois contradictoires et à une réactivité trop lente face aux besoins du terrain[13]».

Par exemple, sur le site du SPF Santé Publique sont comptabilisés 1994 lits USI en Belgique[14], desquels il faudrait déduire environ 10 à 15% de lits « non opérationnels » (personnel absent, etc.). Or, les statistiques publiées par Sciensano ne prennent en compte que le nombre de lits agréés, ce qui ne reflète pas fidèlement la capacité des soins intensifs en Belgique. Des variations existent en fonction du type de lits que l’on prend en considération. Pour certains hôpitaux, la capacité de lits recensés en USI[15] par l’Etat était donc « sur- ou sous-évaluée » par rapport au nombre de lits disponibles. L’Etat aurait pourtant tout intérêt à procéder un état des lieux sérieux du nombre de lits disponibles et opérationnels afin d’écarter tout soupçon comme en Allemagne où « des hôpitaux auraient manipulé le taux d’occupation des soins intensifs[16]».  

Des hôpitaux ont triché

À la base, les hôpitaux doivent réserver 15% de leurs lits USI aux patients covid positif[17]. En fonction du taux d’occupation des lits USI, les autorités décident s’il faut mettre davantage de lits USI pour les patients covid. En outre, les hôpitaux ont dû maintenir un ratio (4 pour 1) entre le nombre de lits d’hôpitaux covid et le nombre de lits USI covid. Ils ont dû communiquer quotidiennement avec le régulateur fédéral sur le taux d’occupation de leurs différents services.

Toutefois, environ 1 patient sur 12 qui présentait une PCR positive, était compté covid mais venait pour un autre motif. Qui peut aujourd’hui démontrer que les unités USI réservées aux patients covid étaient saturées exclusivement de patients covid[18] ? Cerise sur le gâteau : des hôpitaux ont même triché pour ne pas recevoir trop de patients covid[19], mais il est, à l’heure actuelle, impossible d’estimer l’ampleur du phénomène.

Manque de transparence de Sciensano

Sciensano même a refusé de communiquer les chiffres bruts des hôpitaux à la commission spéciale covid[20].  Depuis des mois, plusieurs scientifiques et professionnels se plaignaient de ne pas avoir un accès complet à l’ensemble de données[21]. Le manque de transparence des informations collectées par Sciensano ne permet pas de tirer des analyses complètes et objectives de ce qui s’est passé sur le terrain.

Fake news officiel

Si la capacité des soins intensifs du pays n’était pas connue précisément en temps réel, comment Le Soira-t-il pu titrer[22]: « Incendie à Anderlecht : seul un lit en soins intensifs était disponible à Bruxelles […] conséquence de la crise sanitaire » citant comme source la ministre de l’Intérieur ? Les médias belges se sont rapidement emparés de cette nouvelle, accentuant encore un peu plus le climat de peur parmi la population. Lors de cet incendie[23], trois personnes nécessitaient des soins plus lourds : deux personnes présentaient des brûlures, ce qui relevait donc de l’hôpital militaire, et une personne devait trouver une place en USI. Or, selon nos informations, il restait déjà 3 places disponibles ce soir-là dans un grand hôpital Bruxellois ! Si le gouvernement n’avait pas ces chiffres, comment a-t-il pu répandre cette « fake news » ?

Statistiques douteuses

Les autorités ont assurément manqué de chiffres fiables durant cette crise. Or, si l’open-data est réclamé de longue date par de nombreux chercheurs universitaires, la transparence des données n’est toujours pas à l’ordre du jour. Cela complique sérieusement la tâche pour juger précisément de la pression réellement exercée par les patients covid sur les hôpitaux.

Malgré des statistiques publiques entachées des défauts cités plus haut, tentons toutefois d’analyser si les hôpitaux ont connu une sursaturation par rapport à une année hospitalière pré-covid. (à suivre)

 

Par Luca Billi


 [1] Unités de soins intensifs ou ICU en anglais pour Intensive Care Unit

[2] Taux d’occupation moyen des lits aigus en Belgique (2018) : 82%  Source OCDE : https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/occupancy-rate-of-curative-acute-care-beds-2000-and-2018-or-nearest-year_d842f2d4-en

[3] Chaque année des hôpitaux connaissent des surcharges saisonnières

[4] Il existe trois types de lits : les lits agréés, les lits physiques et les lits justifiés. En gros, les lits physiques sont le nombre de lits physiquement disponibles, les lits agréées sont ceux dont l’agrément est délivré par une fédération (par ex. la fédération Wallonie-Bruxelles) et les lits justifiés sont calculés sur l’activité de l’hôpital et détermineront le budget alloué.

[5]https://kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/KCE_335B_Capacite_hospitaliere_durant_pandemie_COVID-19_Synthese_0.pdf, page 21

[6] Le Comité Hospital & Transport Surge Capacity (HTSC) est un organe dépendant du SPF santé publique qui se réunit depuis le début de la crise du covid-19. Il relève du RMG (Risk Management Group). Le HTSC se compose entre autres du Dr. Erika Vlieghe, de membres du SPF santé publique et de représentants de fédération de soins de santé (GIBBIS, etc.). Cette cellule a pour mission de servir de lien entre les autorités et les hôpitaux belges afin d’établir les grandes lignes directrices de la gestion de la capacité hospitalière.

[7] « The HTSC committee lacked important information to fulfil its mission. For example, number of infected persons in the general population, number of infected patients in residential care settings, number of deaths, length of stay, number of (available and appropriate) healthcare professionals, number of non-COVID-19 patients requiring hospital care, evolution over time of the parameters, and other. In this way it was difficult for the HTSC committee to have a clear view on the (expected) pressure on the hospitals and to anticipate adequately in organising (extra) hospital capacity » https://kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/KCE_335_Surge_capacity_during_COVID-19_Belgium_Report_0.pdf , page 25

[8] Plateforme fédérale informatique qui permet un échange d’informations opérationnelles et stratégiques lors de situations d'urgence

[9] Notamment le SPF Santé Publique, Sécurité de la chaine alimentaire et environnement

[10] RMG, RAG, Sciensano, etc.

[11] HTSC notamment

[12] Fédération patronale d'institutions de soins wallonnes et bruxelloises, du secteur public ainsi que du secteur privé non confessionnel et non commercial https://santhea.be/fr/

[13]https://www.santhea.be/CMS/content/images/202010/les-institutions-de-soins-face-la-covid-19.pdf , page 9

[14]https://organesdeconcertation.sante.belgique.be/sites/default/files/documents/20210526_hospital_phase_1a.pdf

[15]C’est-à-dire les lits « agréés » https://organesdeconcertation.sante.belgique.be/sites/default/files/documents/20210526_hospital_phase_1a.pdf

[16]https://www.blick.ch/fr/news/monde/scandale-en-allemagne-des-hopitaux-auraient-manipule-le-taux-doccupation-des-soins-intensifs-id16590589.html?utm_medium=social&utm_campaign=share-button&utm_source=facebook&fbclid=IwAR2dK6fYeMikMkTnUPbKVhnvy2sr7PeX01mTlfw6H7Ems-EQqL2I_w9eqP4

[17] Ces différentes phases sont résumées ici : https://www.siznursing.be/wp-content/uploads/2020/10/201022_communique_usi_covid-19_RS.pdf

[18] C’est-à-dire de malades atteints du covid et non pas de patients avec une PCR positive sans symptômes covid

[19] Pour divers motifs, volonté de garder des lits si l’état de malades en interne se dégrade, financier, etc

[20]https://www.7sur7.be/belgique/sciensano-refuse-de-communiquer-les-chiffres-bruts-des-hopitaux-a-la-commission-speciale-covid~a7b00f07/

[21]https://www.rtbf.be/info/societe/detail_open-data-et-sciensano-manque-de-coherence-entre-le-discours-officiel-et-la-realite?id=10668706

[22]https://www.lesoir.be/367182/article/2021-04-19/incendie-anderlecht-seul-un-lit-en-soins-intensifs-etait-disponible-bruxelles, 19/04/2021

[23] 20 à 30 blessés plus légers environ

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