Livraison d’armes par l’UE à l’Ukraine : La démocratie en mode hybride

Tribune
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Le lundi 22 mars 2021, il y a tout juste 1 an, l’UE adoptait « La Facilité Européenne pour la paix » (FEP), un fonds de 5 milliards d’euros [1].

Un fond pour la paix …

 Dans un phrasé qui ne peut qu’amener questionnement et perplexité, l’UE déclarait qu’elle souhaitait : « renforcer son aide aux pays partenaires » en soutenant leurs opérations de maintien de la paix et leur permettant « d’augmenter la capacité de leurs forces armées à garantir la paix et la sécurité sur leur territoire national » (SIC). Plus loin dans la présentation la fourniture d’équipements militaires fait partie du périmètre d’action de ce nouveau fonds.

A cette époque, vous vous en souvenez, la Commission faisait son marché en achat de vaccins et la mise sur orbite de « la Facilité Européenne pour la paix » est passée relativement inaperçue.

Beaucoup de critiques sont venues du Parlement Européen s’inquiétant de ce nouveau rôle que s’attribuait l’UE, pointant à juste titre la question de la livraison d’armes, notamment à des Etats en situation précaire. Le Parlement Européen, seul organe élu par les citoyens européens, avait insisté pour que le fonds soit soumis à son contrôle, à l’instar du budget septennal de l’UE. Résultat : le fonds est sorti du budget contrôlé par le Parlement et a atterri dans le périmètre des règles liées au Code de conduite de l’UE en matière d’exportation d’armements.

La démocratie hybride

Ici, émerge un nouveau concept : la démocratie hybride. En fonction des difficultés, les institutions européennes consultent tantôt les organes démocratiques, composés de représentants élus par les citoyens européens, tantôt, les organes administratifs (et les institutions européennes en comptent beaucoup !) hors de tout contrôle.

La saga des vaccins gérée par la Commission est édifiante autour d’une dépense de plusieurs milliards : teneur exacte des contrats non connue, volonté d’écarter le Parlement Européen, prix unitaire des doses par laboratoire caché, aucune responsabilité des fabricants liée aux effets secondaires et cerise sur le gâteau : une présidente de la Commission qui échange des SMS avec le PDG de Pfizer et qui refuse de donner accès à leur contenu.

900 millions d’Euros d’armes pour l’Ukraine

Première utilisation massive de la « Facilité Européenne pour la Paix », 450 millions sont débloqués le 27 février 22 pour permettre aux Etats membres de fournir l’Ukraine grâce à un soutien financier européen [2]. Et là tout s’éclaire, si le fonds FEP avait été intégré au budget pluriannuel sous contrôle parlementaire, jamais il n’aurait pu servir à l’achat d’armement. En effet, les traités interdisent à l’Union d’utiliser son budget pluriannuel ordinaire pour financer des opérations ayant des implications militaires ou de défense.

Rebelote : les gouvernements des États membres de l’UE ont décidé le 23 mars de doubler ce montant à 900 millions d’euros [3] pour fournir des « équipements et plateformes militaires conçus pour libérer une force létale » (en gros, des armes ainsi que des véhicules et installations militaires). Neuf cents millions d’euros !

Règles Européennes versus règles des Etats

Les souverainistes qui prônent le retour à la puissance des Etats Nations sont brocardés par les « démocrates néo-libéraux » qui se présentent comme modernes, sans frontières … nous menant vers la « mondialisation heureuse ». Pourtant, dès qu’on touche à la gouvernance mondiale ou européenne et qu’on se penche sur les pratiques des dirigeants dans ce cadre, on constate que les règles démocratiques sont contournées dans une relative opacité. Citons pêle-mêle : un pass sanitaire européen, une carte d’identité européenne numérique, certains traités de libre-échange, … mais aussi ici, en prenant pied dans la vente d’armes.

Jusqu’à nouvel ordre, l’exercice démocratique s’opère au sein des Etats. Donner plus de pouvoir aux institutions internationales ? Pourquoi pas ! Dans un domaine comme l’environnement, cela fait sens. Mais pas au mépris de nos libertés ni de nos droits démocratiques. Si nous voulons des institutions européennes au périmètre de compétences élargi, il est impératif de les doter des indispensables outils démocratiques.

Not in my name ?

Nous sommes en droit de nous interroger sur l’action de nos dirigeants, principalement européens autour de l’Ukraine. Des sanctions économiques sont prises à la hussarde et vont durablement affecter les citoyens européens, principalement la classe moyenne. L’Europe qui a augmenté fortement sa dépendance énergétique, ces 20 dernières années, vis-à-vis de la Russie, entend se passer de ses services et payer le prix fort ! Tout bénéfice, pour nos concurrents sur le terrain économique, principalement les Etats-Unis.

Huit ans qu’une sale guerre se déroule à l’Est de l’Ukraine. Qu’ont fait nos dirigeants européens pendant cette période en matière de diplomatie, négociations, … pour éviter d’en arriver là ? La liste des manquements est longue, très longue.

Avec la Russie, le commerce a toujours pris l’ascendant, sans préoccupation réelle ni pour la géopolitique, ni pour la diplomatie. En quelques jours, commerce et économie n’existent plus, diplomatie et géopolitique sont loin d’émerger. Alors, on livre des armes à l’Ukraine, sans réel contrôle démocratique, en plein conflit armé, sans analyse réelle du risque que cela représente pour les populations européennes. Et surtout, nous, citoyens européens, sommes-nous parties prenantes de telles décisions ?

 

Par Philippe Davister


[1] https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde...

[2] https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/lue-brise-un...

[3] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celle de BAM!

Source photo :
Image recadrée originale de President.gov.ua sur Wikimedia Commons, CC BY 4.0