Atteinte méchante à la démocratie ?

Belgique
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Le 22 février, le Parlement belge adoptait le livre II du Code pénal au sein duquel figure un nouveau délit aussi vague que préoccupant : l’atteinte méchante à l'autorité de l'État.
Après le DSA européen et la loi française contre les dérives dites sectaires (adoptée dans un simulacre de démocratie), cette criminalisation de la contestation constitue un clou supplémentaire dans le cercueil de la liberté d’expression. Mais dormez sur vos deux oreilles, c'est sous le noble prétexte de “protéger les valeurs fondamentales de notre démocratie” qu'on nous présente ces merveilleuses initiatives…

Inscrite dans une mise à jour exhaustive du Code pénal belge, la nouvelle notion d'“atteinte méchante à l'autorité de l'État” côtoie dans une même loi les crimes de guerre, la prise d’otages, l’écocide, la torture, les homicides intrafamiliaux, le voyeurisme, le viol, …

Dans sa formulation initiale, l'article de loi définissait l'“atteinte méchante à l'autorité de l'État” comme un acte intentionnellement nuisible et manifeste, qui défie directement l'autorité légale ou encourage la désobéissance. La version finale de cet article de loi introduit cependant des distinctions importantes : elle réprime non seulement les actes nuisant à l'autorité de l'État, mais aussi ceux menaçant la sécurité nationale, perturbant l'ordre public ou entravant la prévention des infractions. Elle impose également des peines plus rigoureuses, tout en les modulant en fonction de la catégorie de la loi transgressée et de la sévérité de l'infraction commise.

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  • Peine de niveau 1 : Travail d'intérêt général ou amende de 80 à 800€.
  • Peine de niveau 2 : Jusqu'à 3 ans de prison pour des infractions plus graves, avec des alternatives comme les amendes (de 200€ à 2000€) ou le travail d'intérêt général.
  • Peine de niveau 5 : De 10 à 15 ans de prison pour des infractions très graves, telles que la prise d'otage ou la torture de personnes vulnérables[2]

Avis négatif du Conseil d’État

Les débats parlementaires avaient pourtant révélé une tension notable entre la volonté de renforcer l'autorité de l'État et la nécessité de préserver les libertés fondamentales.

Le Conseil d'État a mis en évidence l'importance d'une définition précise des termes tels que "ordre public" et "atteinte à l'autorité de l'État", soulignant le risque d'une interprétation trop large qui pourrait engendrer des restrictions disproportionnées des libertés individuelles. Le besoin d'aligner strictement toute nouvelle législation avec les directives de la Cour européenne des droits de l'Homme a été un leitmotiv, avec des rappels fréquents sur la nécessité de maintenir un équilibre entre la sécurité de l'État et les libertés démocratiques.

Des membres du parlement fédéral, tels que Mme Rajae Maouane (Ecolo‑Groen) et M. Philippe Lamberts (Ecolo‑Groen), ont exprimé leur inquiétude sur la possibilité que la loi soit utilisée pour restreindre indûment les manifestations et la liberté d'expression, des piliers démocratiques essentiels inscrits dans la constitution. Ils ont plaidé pour une approche mesurée et proportionnée, en accord avec la jurisprudence existante.

Des débats ont également porté sur la redondance potentielle de la loi, avec des arguments selon lesquels les infractions déjà existantes couvraient suffisamment le champ d'action de la nouvelle loi proposée. Cela a soulevé des questions sur l'utilité concrète de cet article, avec certains intervenants craignant qu'il ne serve à introduire des mesures punitives supplémentaires non nécessaires, qui pourraient être exploitées de manière arbitraire.

Mme Sophie Rohonyi (DéFI) a rappelé l'importance cruciale de la loi dans la protection de la liberté de la presse et de la critique gouvernementale, évoquant la nécessité de garantir que toute mesure législative soutienne et ne mine pas ces droits fondamentaux.

Un collectif de 513 signataires tire la sonnette d’alarme

Dans une carte blanche publiée dans Le soir du 15 février[3], un collectif de 513 signataires issus du monde associatif, universitaire, judiciaire et de la société civile ont attiré l'attention des politiques et du public sur les dangers d'une telle loi pour la liberté d’expression et la démocratie.

Nature antidémocratique de la proposition

Le collectif considère que la désobéissance civile, qui consiste en des actes de transgression de la loi de façon publique, collective, consciente et non violente, est un élément fondamental et traditionnel dans l’évolution des civilisations. Ils soulignent que la désobéissance civile ne remet pas en cause l'État de droit mais vise à instaurer un débat public essentiel à la démocratie. Les auteurs de la carte blanche rappellent que la désobéissance civile a été un moteur important de changement social et politique tout au long de l'histoire. La désobéissance civile a été cruciale pour le mouvement des droits civiques aux États‑Unis, aboutissant au Civil Rights Act de 1964 avec Martin Luther King. Elle a également mené à l'indépendance de l'Inde avec Gandhi. Son rôle a été déterminant dans l'acquisition du suffrage féminin. Enfin, elle a contribué à la fin de l'apartheid en Afrique du Sud avec Nelson Mandela. La loi proposée, en criminalisant de telles actions, sape les fondements de la démocratie.

Dangers liés à l'application de la loi

Le collectif considère également que son champ d'application trop étendu, permet potentiellement la criminalisation de la protestation dans un sens large et compromet gravement le droit à la liberté d'expression et de protestation. De plus, son application pourrait créer des inégalités devant la loi et compromettre la sécurité juridique.

Redondance et inutilité de la loi

A l’instar de certains parlementaires, le collectif considère que la disposition est redondante, car la désobéissance civile est déjà couverte par la liberté d'expression protégée par des textes internationaux, européens, régionaux et nationaux. Ils affirment que la nouvelle infraction ne représenterait aucun avantage et que des dispositions similaires, qui finissent par être utilisées dans un contexte différent de celui initialement prévu, ont déjà été observées par le passé.

Le collectif insiste donc sur le fait que cette proposition de loi est antidémocratique, dangereuse et inutile et qu'elle contredit la tendance au sein même du monde politique à reconnaître l'importance de la désobéissance civile pour le débat démocratique. Ils exhortent les parlementaires à rejeter fermement cette disposition, la considérant comme une menace sérieuse pour les droits fondamentaux.

“Qu’à cela ne tienne!”

Malgré le concert de désapprobations émanant du Conseil d'État, de l'Institut Fédéral des Droits Humains, ainsi que des voix associatives, universitaires, judiciaires et de la société civile, la majorité du parlement est resté sourde et a finalement adopté la loi[4].

Maigre consolation: l'État, dans sa grande mansuétude, appliquera la loi deux ans après sa publication… Probablement le temps de s'accoutumer à notre nouveau régime démocratique en apprenant à ne pas être méchant envers l'autorité de l'État… En route pour la démocratie absolue, où l'allégeance pour le pouvoir est inscrite dans le Code pénal.

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Marcan pour BAM!


L’illustration est de BAM!

[2] Un nouveau code pénal adapté au 21e siècle - Team Justice

[3] Juristes, universitaires, syndicalistes et citoyens: ils disent «non» à « l’atteinte méchante à l’autorité de l’Etat » - Le Soir

[4] https://www.lachambre.be/doc/PCRI/PDF/55/ip292.pdf